La balance des paiements est un état statistique qui retrace sous une forme comptable l’ensemble des flux d’actifs réels, financiers et monétaires entres les résidents d’une économie et les non-résidents au cours d’une période déterminée*.

Composée de trois comptes qui se distinguent par la nature des ressources économiques fournies et reçues : compte des transactions courantes (biens et services, revenus primaires, revenus secondaires), compte de capital (transferts en capital) et compte financier, (investissements directs ou de portefeuille), c’est un photogramme des transactions économiques.

Comme la balance commerciale tient compte de tous les biens exportés et importés, elle est l’une des composantes majeures de la balance des paiements et représente un indicateur important pour évaluer l’insertion d’un pays dans la mondialisation commerciale.

“Peu de documents ont autant d’importance que la balance des paiements”, affirme l’économiste Hechmi Alaya dans le numéro 22/2024 d’Ecoweek, “En récapitulant les flux des échanges de toutes sortes que le pays entretient avec le reste du monde, ce document comptable fournit d’excellentes indications sur les forces et faiblesses de l’économie et constitue un guide pour piloter sa politique économique. Encore faut-il savoir le décoder. D’autant que la nouvelle présentation basée sur les nouvelles normes recommandées par le FMI, pour l’établissement de statistiques de balance des paiements « cohérentes et de qualité que vient d’adopter la BCT pour présenter la balance du premier trimestre, n’est guère à la portée de n’importe quel quidam”.

“Peu de documents ont autant d’importance que la balance des paiements.” – Hechmi Alaya, économiste

Hechmi Alaya a procédé au décryptage de la Balance de paiements en examinant tous les documents y afférant, produits par la BCT.  Il est sorti avec un constat important : la Tunisie, avec un taux d’ouverture de seulement 13%**, est en train de se refermer sur elle même tournant le dos au reste du monde. Un monde où le taux d’ouverture s’élève actuellement à plus de 25%, un taux de 50% s’agissant du secteur électronique, dont la moitié des produits sont destinés à l’échange international.

La Tunisie, petite économie, marché exigu a donc choisi de se réenclaver alors qu’un pays comme la Chine, une puissance économique impressionnante a choisi d’user de son insertion dans les échanges internationaux en tant que moteur puissant de croissance nationale.

Les maîtres à penser de l’économie nationale en sont-ils conscients ? La fermeture du pays aux échanges est-il la résultante de nouvelles orientations économiques optant de réduire les échanges commerciaux poursuivant une obsession économique souverainiste destructrice tout juste pour narguer le reste du monde ?

Le taux d’ouverture de l’économie évalue le ratio de la production échangée sur la production totale. Il traduit l’interdépendance existante entre les différents pays dont les plus puissants monopolisent 75% des échanges commerciaux internationaux. Or que révèle la balance des paiements au premier trimestre de cette année ?

Le besoin de financements extérieurs de la Tunisie un plus bas inédit depuis 2018 !

Le taux d’ouverture de la Tunisie qui est loin de la moyenne mondiale des 25%, (mesuré par la somme de ses échanges extérieurs de marchandises rapportée au PIB) est revenu à moins de 13,0% au premier trimestre de cette année contre 13,9% en moyenne trimestrielle 2022 et 15,7% en 2021, révèle Alaya. Il précise : les recettes nettes en devises que rapporte l’activité touristique s’effritent du fait de la croissance plus rapide des dépenses en devises du tourisme des Tunisiens à l’étranger : elles se sont établies au premier trimestre à 67,1% des recettes brutes contre 75,2% en moyenne trimestrielle des cinq dernières années.

“Le plus alarmant est que, malgré son reflux, la dette tunisienne est de moins en moins longue. La part de l’endettement à long terme est revenue à 67,3% en 2023 contre 76,4% en moyenne des années 2010-2019. Ce qui en clair, signifie que la Tunisie recourt de plus en plus à des crédits commerciaux à court terme ; des financements onéreux pour couvrir ses besoins en biens de consommation.” – Hechmi Alaya, économiste

“Ce que ce document dit (celui relatif à la balance de paiement) c’est que le besoin de financements extérieurs de notre pays a atteint en ce début d’année, un plus bas inédit depuis 2018 : 660 millions de dinars. Il serait stupide et naïf de croire que ce rétrécissement est une bonne chose pour la Tunisie. En effet, notre pays a urgemment besoin d’initier un processus de transformation structurelle pour engendrer une croissance susceptible de mettre un terme à la détérioration du niveau de vie du Tunisien, une croissance à même de toucher toutes les couches de la population et toutes les régions. Or, une croissance inclusive nécessite des ressources considérables pour combler les déficits de financement dans des domaines clés tels que l’éducation, l’énergie, la productivité, l’agriculture et les infrastructures. Plutôt que d’œuvrer pour attirer les ressources externes tant publiques que privées, de taille à compléter les maigres ressources nationales, la politique économique tunisienne est en voie d’organiser leur rareté́ ; elle est en train de promouvoir le sous-développement du pays. Une dette de moins en moins longue et qui coûte de plus en plus cher.”

L’endettement extérieur de la Tunisie a atteint en 2023 son plus bas niveau des cinq dernières années soit 85,7% du PIB après 94,3% en 2022 et 93,4% en 2021. “Le plus alarmant est que, malgré son reflux, la dette tunisienne est de moins en moins longue. La part de l’endettement à long terme est revenue à 67,3% en 2023 contre 76,4% en moyenne des années 2010-2019. Ce qui en clair, signifie que la Tunisie recourt de plus en plus à des crédits commerciaux à court terme ; des financements onéreux pour couvrir ses besoins en biens de consommation. Une tendance qui contribue à renchérir le coût de sa dette : celui-ci a absorbé en 2023, 26,5% des recettes courantes de la Tunisie après 10,7% en 2022 et 13,7% en moyenne des cinq dernières années”.

Jusqu’à quand l’État tunisien optera-t-il pour la fuite en avant et les prêts à tout va alors que dans l’intérêt du pays, il est plus qu’urgent d’entamer les réformes et d’initier une relance économique?

Sans aucune perspective, pour cette année, d’un accord avec le FMI, dont l’obtention permettrait le déblocage de la plupart des programmes d’assistance bilatérale et multilatérale, la Tunisie continue à négocier des prêts en bilatéral ou avec des bailleurs de fonds internationaux telle la banque mondiale pour relever les défis de la sécurité alimentaire et aux besoins énergétiques du pays.

Les derniers en date, mais pas les seuls, sont deux nouveaux prêts d’un montant total de 520 millions de $ approuvés au mois de mars 2024, par le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale, un prêt de 1,2 milliard de $ qui servira à financer les importations de matières premières, en particulier de produits pétroliers, accordé par le fonds islamique International Islamic Trade Finance Corporation (ITFC), basé en Arabie saoudite et à l’échelle nationale un accord de prêt syndiqué en devises étrangères de 185 millions de dollars contracté auprès d’un pool de 16 banques locales pour financer le budget de l’État.

Jusqu’à quand l’État tunisien optera-t-il pour la fuite en avant et les prêts à tout va alors que dans l’intérêt du pays, il est plus qu’urgent d’entamer les réformes et d’initier une relance économique ?

Amel Belhadj Ali

*https://www.melchior.fr/cours/complet/cours-1-balance-des-paiements-cours-de-change-et-systeme-de change#:~:text=Elle%20est%20un%20indicateur%20important,ann%C3%A9es%20quatre%2Dvingt%2Ddix.

**Taux calculé par Hechmi Alaya