Au mois de février 2022, l’Union européenne lançait avec la Tunisie, un programme visant l’accompagnement de la modernisation de l’industrie tunisienne dans une démarche d’innovation et de développement technologique appuyant la transition vers l’industrie 4.0. Le budget total du programme s’élève à 12.2 Millions € (41 084 MD) avec une contribution de l’Union Européenne : 10.6 Millions €, (prés de 37 MD). Deux ans après, y-a-t-il eu des avancées dans cette transition ?

Mais d’abord, qu’est ce que l’industrie 4.0 ? C’est une industrie qui use des hautes technologies pour le contrôle et la surveillance des machines en temps réels en installant des capteurs à chaque étape du processus de production. Le but est d’optimiser la production en usant de moins de temps, d’améliorer la qualité des produits, d’anticiper les pannes et d’assurer l’entretien des équipements à temps.

La banque mondiale avait dans une étude publié en 2020 estimé que la maturité de l’économie numérique tunisienne est à mi-chemin entre émergente et modérée avec un score moyen de 2,4 sur une échelle de 1 à 5.

“Les dividendes socio-économiques des technologies numériques émergent timidement en Tunisie, malgré les efforts réalisés depuis le premier plan stratégique de 2010/2011 pour le développement du secteur des TIC.

Plusieurs projets et initiatives ont été lancés pour améliorer les fondations analogiques, accélérer la transformation numérique de l’administration et renforcer le secteur du numérique principalement le secteur des TIC.

L’industrie 4.0 est une industrie qui use des hautes technologies pour le contrôle et la surveillance des machines en temps réels

L’environnement institutionnel de l’économie numérique a été également doté de plusieurs structures et instances de pilotage et de gouvernance mais la cadence de l’exécution des projets numériques n’évolue pas au rythme de l’évolution de l’économie numérique dans la région et dans le monde.

Aujourd’hui, le monde vit une révolution industrielle numérique axée sur l’autonomisation du travail, l’amélioration des processus, la création de nouveaux services et produits et l’apparition de nouveaux modes de financement tels que le capital-innovation et le crowdfunding.

La gestion des connaissances se transforme également, tout comme l’économie collaborative et l’économie de la connaissance. Dans ce contexte, l’adoption des nouvelles technologies est incontournable pour que les entreprises survivent.

En Tunisie, l’industrie représente près d’un quart de l’économie, avec des secteurs clés tels que la manufacture, l’agroalimentaire et l’électronique. La « Stratégie industrielle et d’Innovation Horizon 2035 » vise à consolider la transformation numérique de l’industrie tunisienne en utilisant des technologies numériques telles que la robotique, l’automatisation et l’intelligence artificielle.

L’objectif est de favoriser la flexibilité, l’analyse et les prévisions des chaînes de production industrielles. La production industrielle se transforme sous l´effet conjugué de l’interconnexion croissante des machines, des stocks et des produits grâce à l’Internet des Objets (IoT), des fonctionnalités des logiciels embarqués sur les machines, de l’analyse des volumes considérables de données numériques, et de l´accès universel à une puissance de calcul, rendu possible par l’infonuagique (ou Cloud).

La banque mondiale avait dans une étude publié en 2020 estimé que la maturité de l’économie numérique tunisienne est à mi-chemin entre émergente et modérée avec un score moyen de 2,4 sur une échelle de 1 à 5

Or selon une étude réalisée par l’ITES reprise dans le cadre du document sur la Stratégie industrielle et d’Innovation Horizon 2035, la demande dans le domaine de l’IoT est encore balbutiante même dans les grandes entreprises tout comme la blockchain est à l’état embryonnaire alors qu’elle joue un rôle majeur et représente un vecteur essentiel d’accélération de la transformation numérique de la chaîne logistique ainsi que de la sécurisation des payements.

Des évaluations différentes sur la place de la Tunisie dans l’innovation économique et industrielle

Hechmi Alaya a déploré, dans le numéro 23 d’Ecoweek, magazine économique de référence, le fait que la Tunisie soit classée 90ème mondial sur 100 pays au classement 2024 des 100 meilleurs écosystèmes startup établi par StartupBlink.

Il commente : “les conséquences de ce retard de développement sont néfastes pour une Tunisie qui doit encore beaucoup investir pour assurer une connectivité numérique de base fiable et abordable. Elle n’aurait pas suffisamment investi et favorisé l’innovation et les partenariats tant dans le secteur public que privé, pour accélérer sa transition numérique.

Au classement établi par la Banque Mondiale, notre pays ne fait même plus partie du top 10 des pays d’Afrique (où figurent l’Égypte au 2ème rang, l’Algérie au 4è me et le Maroc au 5ème) qui constituent selon la Banque, le fer de lance de la quatrième révolution industrielle du continent et les pays qui produisent le plus de richesses grâce à leur écosystème numérique”.

L’objectif est de favoriser la flexibilité, l’analyse et les prévisions des chaînes de production industrielles

Un autre son de cloche est celui du classement “Global Innovation Index” mis au point par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’Institut européen d’administration des affaires (Insead) et l’université américaine de Cornell qui donne la Tunisie pour 4ème en Afrique et 79ème sur 132 pays quant à la capacité de tirer au mieux parti de l’innovation.

L’indice mondial de l’innovation (GII) met en avant le Startup Act adopté en 2018 et parle des efforts déployés par la Tunisie en faveur de l’innovation dans divers secteurs et du règlementaire et fiscal favorable au développement des start-up ainsi que de certaines conditions spécifiques propices aux jeunes entreprises innovantes du pays.

Hechmi Alaya tire pourtant la sonnette d’alarme. Il parle d’une Tunisie à la traîne (10ème sur les 13 pays d’Afrique retenus par StartupBlink) qui ne parvient à aligner qu’une seule ville parmi les mille villes du monde qui offrent un écosystème favorable à l’éclosion des startups : “Tunis, rangée à la 342ème place, loin derrière Le Caire (97ème) ou encore Nairobi (113ème)”.

Nous sommes là face à des appréciations différentes sur la place de la Tunisie dans l’innovation économique et industrielle qui pourraient être expliquées par les critères pris en compte dans la classification des capacités innovatrices des pays selon les institutions évaluatrices. Mais il est un fait indéniable : la Tunisie jadis appelée dragon de l’Afrique ne figure plus au firmament des pays les plus avancées sur le plan industriel.

Le pays du startup Act est en retard dans l’industrie 4.0 !

La Tunisie a été un pays précurseur dans la mise en place du startup Act pour le développement des startups. Il y a eu une grande vague de startups ingénieuses par leurs capacités innovatrices et créatrices.

Les plus importantes sont malheureusement parties s’installer sous d’autres cieux parce que l’écosystème n’est pas idéal pour leur développement qu’il s’agisse du cadre réglementaire -nous attendons encore la promulgation du code de change- des financements ou des infrastructures numériques.

Le fait est que sans les startups, nous ne pouvons pas développer une industrie 4.0 ? Pourquoi ? Parce que tout simplement, elles permettent aux firmes manufacturières de collecter des données concernant l’usage et la maintenance de leurs machines ou encore la gestion de leurs stocks, afin d’optimiser leur processus de production, parce qu’aussi, l’IA est en train de révolutionner nombre d’industries et de disciplines telles les biotechnologies, les sciences du médicament ainsi que les industries manufacturières.

Les exemples tunisiens les plus éloquents sont Instadeep dans l’intelligence artificielle et Enova Robotics dans l’industrie manufacturière ou encore .

La Tunisie est-elle sur la bonne voie ? Kais Mejri, PDG de l’AFI réponds *: “Il est nécessaire pour notre pays de bien négocier les virages technologiques afin de garder la pérennité et assurer le développement de notre économie et particulièrement notre industrie. L’industrie 4.0 est une thématique centrale pour les industries d’aujourd’hui. Les cas d’usage ne manquent pas pour démontrer ses bienfaits, et son potentiel. Le management doit saisir cette opportunité pour s’adapter et aboutir ainsi à un « management 4.0».

Kais Mejri, PDG de l’AFI réponds : “Il est nécessaire pour notre pays de bien négocier les virages technologiques afin de garder la pérennité et assurer le développement de notre économie et particulièrement notre industrie

Passer à l’industrie 4.0, c’est se donner l’infrastructure et les moyens pour innover, être compétitif, saisir les occasions d’affaires et prospérer. Il est donc urgent que les PME manufacturières fassent le saut vers l’usine du futur, pour rattraper leur retard et conquérir de nouveaux marchés.

Kais Mejri, indique que le ministère de l’Industrie et des PME a commencé à faire appel aux technologies de l’IA à travers le lancement de plusieurs projets pilotes dont le lancement d’un agent intelligent (Chabot) afin d’orienter les entreprises et l’usager de service public.

Il précise toutefois qu’il faut faire plus : “Il faut mettre une stratégie nationale volontariste et proactive pour créer les conditions nécessaires pour l’émergence d’un marché de l’IA en Tunisie. Une telle stratégie doit être le fruit d’un partenariat public privé où l’accès aux données (publiques et privée) est le principal pilier”.

Développer la culture de l’innovation entre acteurs économiques publics et privés, encourager les investissements en nouvelles technologies sont aujourd’hui impératifs pour avoir sa place sur l’échiquier économique mondial.

Pour la Tunisie, il s’agit d’être ou de disparaître

Amel Belhadj Ali