En prévision de la réouverture imminente du poste frontalier de Ras Jedir après une fermeture de plus de trois mois, des informations concordantes nous apprennent que les forces de sécurité libyennes mènent, actuellement, une campagne de grande envergure sur les accès aux poste frontalier, pour interdire l’exportation, au-delà des quantités légalement autorisées du carburant vers la Tunisie.
La campagne, qui concerne aussi bien les citoyens tunisiens que les citoyens libyens, a pour objectif de lutter contre la contrebande « excessive » dont fait l’objet le carburant libyen, et ce, pour une raison simple : le prix actuel du diesel par litre s’élève à 0,031 Dollar américain, l’équivalent de 960 millimes tunisiens. La Libye est ainsi, le deuxième pays dont les carburants sont les moins chers au monde après l’Iran.
Cette campagne intervient après la décision de restructuration de la subvention des carburants annoncée, le 10 janvier 2024, par le gouvernement AbdelHamid Dbeibah, appelé également gouvernement d’unité nationale (GNU).
D’après les observateurs des relations tuniso-libyennes, cette décision risque, pour peu qu’elle soit appliquée avec beaucoup de rigueur, d’impacter négativement la Tunisie.
La décision libyenne impactera négativement la Tunisie
A ce propos, l’universitaire tunisien Ridha Chkoundali considère que « les carburants importés de manière non réglementaire de Libye et d’Algérie résolvent en partie les difficultés rencontrées par les gouvernements pour en importer en devises. Selon lui, les quantités importées illégalement représentent 25% des besoins de l’économie du pays ce qui permet de réduire le coût au niveau de l’importation des carburants et au niveau du déficit commercial ».
Il a ajouté qu’«en plus de ce gain économique pour l’Etat, il y a également le volet social car une bonne partie de la population tunisienne vit des opérations de la contrebande aux frontières est et ouest du pays ».
Cette décision risque, pour peu qu’elle soit appliquée avec beaucoup de rigueur, d’impacter négativement la Tunisie
Le think tank tunisien, l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprise (IACE) s’est penchée, à son tour, sur les répercussions directes et indirectes de cette décision libyenne. Dans une note rendue publique, l’IACE redoute, particulièrement, une augmentation de la demande sur les carburants tunisiens par l’effet de la réduction des importations illicites du carburant de Libye.
Risque d’émergence de tensions au sud de Tunisie
L’Institut estime que l’accroissement de la demande de carburant en Tunisie aura plusieurs conséquences collatérales dont quatre scénarios qu’on s’y attarde.
Le premier sera perceptible à travers « l’augmentation des recettes fiscales de l’État, puisque ce produit est sous le monopole de l’État à travers la Société Tunisienne des Industries de Raffinage (STIR) ».
une augmentation de la demande des carburants en Tunisie et son corollaire, une hausse du coût des subventions de la Tunisie qui œuvre, actuellement, à équilibrer ses finances publiques
Le deuxième sera visible à travers « une augmentation des importations des carburants, ce qui entraînera un épuisement des réserves nationales en devises. Or, la Tunisie est appelée à préserver ses réserves en devises, durant la conjoncture actuelle, et ce, afin d’améliorer sa croissance économique et honorer ses engagements de paiement d’une dette extérieure », fait remarquer l’IACE.
Le troisième porte sur le risque de voir les réductions des importations de carburant de Libye entraîner « une augmentation de la demande des carburants en Tunisie et son corollaire, une hausse du coût des subventions de la Tunisie qui œuvre, actuellement, à équilibrer ses finances publiques », précise l’Institut.
une augmentation de la demande des carburants en Tunisie et son corollaire, une hausse du coût des subventions
Le quatrième scénario est d’ordre social. Pour l’IACE, « au-delà des implications économiques, cette décision pourrait avoir des conséquences sociales, notamment pour les Tunisiens vivant dans les zones frontalières qui pourraient être impactés par des canaux informels ». Pour l’Institut le risque est grand. Le think tank n’a pas exclu qu’une telle décision « pourrait susciter des tensions sociales dans la région du Sud».
au-delà des implications économiques, cette décision pourrait susciter des tensions sociales dans la région du Sud
Par-delà ces scénarios préoccupants, nous pensons que, dans cette affaire, la Tunisie, ne doit en vouloir qu’à elle-même. Elle paye très cher à travers cette décision libyenne « aux relents de chantage pour certains », l’immobilisme de ses dirigeants qui ont trop tardé à développer les énergies vertes et à renforcer la souveraineté énergétique du pays