Devons-nous nous fier aux informations trop rassurantes qui viennent de part et d’autre attestant que les finances de l’Etat se portent à merveille et que la Tunisie a réussi à casser le mythe de la dépendance économique et financière aux autres qu’il s’agisse de pays ou de bailleurs de fonds internationaux ?
Une Tunisie qui a opposé un niet définitif au FMI et qui désormais compte sur ses propres moyens pour satisfaire à tous ses besoins ?
Hechmi Alaya, économiste émérite répond dans le numéro 27 d’Ecoweek : « En dépit du durcissement des conditions d’accès à la finance internationale, l’endettement extérieur de la Tunisie s’établit au terme du premier trimestre, en hausse par rapport à la même période de l’an dernier : 128,9 MMDT contre 127,9 MMDT il y a juste un an.
Mais le taux d’endettement extérieur de la Tunisie a nettement diminué passant de 93,7% en 2022 à 86,6% l’an dernier et à 79,0% en ce début d’année 2024. Le hic, est que ce processus de désendettement est allé de pair avec la hausse de la part de la dette à court terme dans l’endettement extérieur total du pays, c’est-à-dire par une dette plus risquée et plus onéreuse : 35,8% contre 20,3% il y a cinq ans. L’autre hic réside dans le fait que le surcroît de dette sert à combler le déficit budgétaire et n’est nullement destiné à financer des investissements productifs ».
“Le hic, est que ce processus de désendettement est allé de pair avec la hausse de la part de la dette à court terme dans l’endettement extérieur total du pays, c’est-à-dire par une dette plus risquée et plus onéreuse : 35,8% contre 20,3% il y a cinq ans.” – Hechmi Alaya, économiste
Conclusion, la Tunisie reste toujours dépendante des autres mais en se soumettant à des conditions plus strictes imposant des délais de remboursement plus courts et en contractant des prêts, toujours plus de prêts qui ne servent pas la croissance économique car pour la plupart ne finançant pas de grands projets créateurs de richesses ou de valeur ajoutée.
Mieux encore, les principales ressources du trésor font suite à une politique fiscale par trop coercitive qui peut dérailler mettant à mal les opérateurs économiques du pays qui ont plus que jamais besoin de reprendre confiance dans le système et d’évoluer dans un Etat de droit.
Voyons ce qu’il en est.
Cela fait un bon bout de temps que l’Etat arrive mal à couvrir la masse salariale. Il s’agit d’un montant de près de 1,9 milliard de dinars à collecter mensuellement pour couvrir les montants destinés à la rémunération publique chaque mois. Ajoutés à cela parfois des intérêts relatifs à des prêts et des approvisionnements affectés aux frais des matières premières.
De simples calculs font état d’un montant de 3 milliards de dinars que l’Etat doit assurer par mois. Or, dans le meilleur des cas, le compte du trésor affiche un solde moyen de 1,5 à 1,6 milliard de dinar et dans le pire des cas, il descend à 600 millions de dinars.
Si nous examinons bien les chiffres disponibles sur la place publique, on réalise tout de suite que les revenus couvrent à peine les salaires d’un mois. Par conséquent, les risques pèsent lourd sur les entrepreneurs fournisseurs de l’Etat qui peuvent ne pas être payés.
Mais ils pèsent aussi lourd sur les offices dont les subventions ne sont pas couvertes par l’Etat. Nous pouvons citer l’Office des céréales dont le taux d’endettement auprès de la BNA est de l’ordre de 4 à 5 milliards de dinars, l’Office de commerce ou encore la STIR ce qui mets à mal leurs équilibres financiers.
“Si nous examinons bien les chiffres disponibles sur la place publique, on réalise tout de suite que les revenus couvrent à peine les salaires d’un mois. Par conséquent, les risques pèsent lourd sur les entrepreneurs fournisseurs de l’Etat qui peuvent ne pas être payés.”
Ces indicateurs prouvent si l’on veut et si on ne maintient pas une posture de déni clamant à tout va, que tout va bien dans le meilleur des mondes, que nous sommes loin d’avoir une trésorerie à l’aise ce qui se traduit par des liquidités au niveau du compte trésor qui couvrent au moins deux mois de charge.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, on harcèle les entreprises afin qu’elles déposent leurs déclarations le plus rapidement possible et ce pourquoi on a avancé la date limite de dépôt de déclaration mensuelle du 28 au 20 du mois. Il s’agit d’avoir les liquidités nécessaires au paiement des salaires.
La coercition fiscale peut-elle mettre fin à l’évasion fiscale ?
Les questions sont : pouvons nous continuer à compter principalement sur les ressources fiscales pour couvrir les besoins de l’Etat ? La coercition fiscale peut-elle mettre fin à l’évasion fiscale ?
Pour beaucoup, l’impôt trop lourd représente un obstacle majeur au développement économique. Les montants prélevés de plus en plus substantiels, feraient fuir les investisseurs, freineraient les activités économiques et priveraient le pays de ressources indispensables pour le pays. Des taux d’imposition élevés auraient comme résultat de diminuer les recettes publiques suivant la citation : trop d’impôts tue l’impôt.
D’autres pensent que le défaut principal du système fiscal dans un pays comme la Tunisie réside dans son caractère inéquitable, trop de forfaitaires, absence de déclarations fiscales pour les personnes physiques, harcèlement des grands groupes et des entreprises au point que certains préfèrent délocaliser leurs activités ou stopper leurs investissements. Reste qu’il n y a pas que les entreprises qui souffrent, les salariés aussi subissent des impôts trop lourds qui ne correspondent nullement à l’importance de leurs revenus.
Les contrôles fiscaux doivent être abordés avec prudence sans mettre la personne ou la société contrôlée dans la posture d’un criminel récidiviste mis sous la loupe et sur lequel, nous pouvons à chaque fois effectuer des descentes musclées. Contrôler à chaque fois que c’est utile avec des moyens d’investigation efficaces et agissants évite les contrôles à tort et à travers qui peuvent susciter des réactions de rejet poussant les concernés à choisir de sortir du circuit officiel ou partir vers des cieux plus cléments.
“Pour beaucoup, l’impôt trop lourd représente un obstacle majeur au développement économique. Les montants prélevés de plus en plus substantiels, feraient fuir les investisseurs, freineraient les activités économiques et priveraient le pays de ressources indispensables pour le pays.”
D’autre part, on trouve des réticences de la part d’un grand nombre de Tunisiens, au paiement des impôts sauf par peur ou obligation. Le fait est que depuis l’époque beylicale, l’incivisme fiscal est une culture. Le Tunisien considère le paiement des impôts comme un acte de « spoliation » de ses biens et de son labeur par l’Etat mais la coercition n’est pas le meilleur moyen de juguler le phénomène de la fraude fiscale.
Les sanctions et les pénalités peuvent fonctionner mais lorsqu’on est dans le rejet du principe même de s’acquitter de son devoir fiscal, on s’ingénie à créer des moyens et des outils pour y échapper ce qui nous renvoie à la célèbre maxime « illi yisrik yighlib illi yhahi » (Celui qui vole vient à bout de celui qui contrôle). Il y a un moyen autrement plus efficient pour lutter contre la fraude : par l’adhésion, plus de justice et un Etat de droit.
La sensibilisation pour lutter contre la fraude fiscale ?
Gagner l’adhésion au système fiscal par force de campagne de sensibilisation, argumentations et convictions, rétablissement de la confiance, c’est ce qui nous manque.
Les politiques publiques adoptées en la matière sont très importantes et elles touchent aux droits de l’homme, à l’Etat de droit et à la qualité de vie des citoyens. Ne pas donner aux réticents de prétextes pour justifier leur non-respect du devoir fiscal passe aussi par le respect de l’Etat de ses devoirs envers ses concitoyens.
Une infrastructure désuète, des services publics approximatifs, des transports publics catastrophiques poussent plus d’un à se poser une question déterminante : Où vont mes impôts et qui mets l’Etat devant un principe sacrosaint dans tous les pays : l’Etat redevable qui doit expliquer ses décisions et assurer les bonnes prestations pour être dans l’exemplarité ou l’Etat de « Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais » ?
La sagesse consiste aujourd’hui à diminuer la pression fiscale, contrôler davantage et plus subtilement et élargir l’assiette fiscale.
Aujourd’hui, estime un expert-comptable édifié sur la chose économique, nous avons des dizaines de milliers de contribuables soumis au régime forfaitaire, ce qui n’a aucun sens, parce que ce sont des gens qui sont en train de gagner énormément d’argent, le contrôle nécessaire n’y est pas et il existe des lobbys qui s’opposent à toute forme de réforme ».
“La coercition n’est pas le meilleur moyen de juguler le phénomène de la fraude fiscale. Les sanctions et les pénalités peuvent fonctionner mais lorsqu’on est dans le rejet du principe même de s’acquitter de son devoir fiscal, on s’ingénie à créer des moyens et des outils pour y échapper.”
Aujourd’hui, le plus gros fardeau des impôts est porté par les fonctionnaires et les salariés du secteur privé. Ce sont des personnes physiques, qui, au-delà de 50.000 dinars vont payer 35 % d’impôts et de 5000 à 20.000 dinars 26%, c’est énorme ! Ceci alors qu’un individu qui dirige une société unipersonnelle, qui importe chaque mois un conteneur de Turquie plein de camelotes qu’il écoule sur le marché national détruisant les industries locales ET LES RESERVES EN DEVISES est imposé à 15% seulement !
Quelle logique adopte donc le système fiscal national ?
Il y a des sociétés qui produisent des boissons à base de sucre, d’eau et de colorant soumises à des impôts de 15 % ! Quelle est leur valeur ajoutée à l’économie nationale ?
Qu’un industriel qui investit dans des équipements lourds, qui innove et qui exporte bénéficie d’un taux clément, est compréhensible, mais qu’on accorde ces 15% à des sociétés dont l’incidence sur le rayonnement économique du pays est infime est insensé !
Tolérer des sociétés commerciales qui paient des impôts de l’ordre de 15% alors que le salarié, à partir de 5000 dinars, paie 26% n’a rien d’équitable tout comme le fait de tolérer la présence active des contrebandiers et des acteurs de l’économie parallèle richissimes dans l’économie nationale opérant dans une impunité presque totale ne rendant compte à aucune autorité officielle puisque non patentés !
La patente est-elle devenue une malédiction pour les opérateurs économiques nationaux ?
Afin de pallier cette situation, n’est-il pas temps de partir en campagne non pour sévir par les sanctions mais pour convaincre, rétablir la confiance et gagner l’adhésion des contribuables ?
Amel Belhadj Ali