Réseaux sociaux“Donc, nous ne pourrons plus injurier sur Facebook” ? La question venant d’une manucure pédicure – Suite aux arrestations successives de journalistes et chroniqueurs – ne devrait pas surprendre car depuis le prétendu printemps arabe, la liberté d’expression en Tunisie a, très fréquemment, été confondue avec insultes, dénigrements et diffamations. Elle illustre chez un peuple qui s’autocensurait de peur d’être sanctionné, la soif de dire tout haut du n’importe quoi sur n’importe qui rarement en bien et très souvent en mal !

La série d’arrestations qui eu lieu ces derniers mois, a pris tout le monde au dépourvu et en prime le Tunisien lambda pour lequel la liberté d’expression consistait à s’exprimer librement sans crainte et très fréquemment sans respect des limites.

Loin de s’attarder sur la justesse ou l’irraison de pareilles arrestations et encore moins sur l’usage que fait la justice du décret 54 article 24, ce qui nous interpelle, dans la question spontanée posée par la manucure pédicure, est l’appréciation des réseaux sociaux par une grande partie d’utilisateurs.

En lieu et place d’être des espaces d’interactions et d’échanges utiles et vertueux, les réseaux sociaux sont devenus le théâtre de violents échanges, de campagnes de dénigrements et des armes pointées sur toute personne qui pense différemment et agit librement.

La liberté d’expression ne peut plus justifier que l’on porte atteinte aux autres attaquant leur intégrité et leur probité

S’agissant de monsieur tout le monde, ils peuvent être un exutoire, le moyen idéal d’exorciser sa colère, sa vindicte, son envie ou sa convoitise à l’encontre de personnes proches, amis ou familles.

Les réseaux sociaux ont aussi offert aux porteurs d’idées rétrogrades, aux déséquilibrés, manipulateurs et frustrés les moyens d’attaquer tous ceux et celles qui sont différents d’eux, qu’il s’agisse d’idées, de classes, de savoir ou de compétences. Eussent-ils été des armes, les mots auraient massacré au moins 50% de la population tunisienne !!!

Nous venons de vivre la campagne haineuse et les propos écœurants tenus à l’encontre d’une jeune instagrammeuse morte prématurément au mépris de la douleur profonde de ses parents qui viennent de perdre leur enfant chéri.

Une absence effrayante de compassion et une haine inexpliquée et inexplicable allant à l’encontre de toutes les valeurs humaines. Une haine née de l’ignorance ou pire d’une nouvelle culture “marketées” par un prétendu “leadership” (sic) qui, sous différents titres, incapable de voir et de tirer le meilleur du peuple n’a réussi qu’à y voir et y susciter le pire créant des démons qui n’existaient pas et incitant à la haine au lieu d’appeler à l’amour et à la tolérance. Un leadership destructeur impuissant qui ne pouvant construire s’est acharné à détruire !

Les réseaux sociaux sont devenus le théâtre de violents échanges, de campagnes de dénigrements et des armes pointées sur toute personne qui pense différemment et agit librement

Les complexes et les frustrations du leadership sont devenus les maux de tout un pays. Le peuple, ne voyant pas de bons exemples a suivi les mauvais. La liberté d’expression rime, pour une certaine catégorie de personnes avec propos insultants et diffamatoires !

Le développement du concept de “citoyen-journaliste”, qui n’est nullement innocent, a permis à chacun de se saisir de l’actualité et d’exprimer son point de vue de manière directe sans être édifié sur les véritables enjeux ou être conscient de l’impact des propos.

C’est ainsi que cette nouvelle voie d’expression non soumise à aucune règle éthique ou déontologique a favorisé le dénigrement et la diffamation. Le plus malheureux est qu’elle réussit très souvent à orienter l’opinion publique et parfois même influence les décisions d’État.

La parade des “facebookers”, “ticktokers”, “instagrameurs” devenue incontournable !

En Tunisie, c’est une parade de “facebookers”, “ticktokers”, “instagrameurs” qui font la pluie et le beau temps, omniprésents et usant à satiété d’une parole qu’ils (elles) considèrent comme une science infuse, alors que, très fréquemment, elle est plus l’expression de l’ignorance que du savoir, mettant, très souvent, ceux qui savent dans l’obligation de réagir se justifiant et argumentant.

La liberté d’expression, résultante de longs combats tout au long de l’histoire de l’humanité sacrant le respect de l’autre et promouvant le droit à la différence a soudain tourné dans notre pays, en des procès publics, très fréquemment commandités et rémunérés et en des réquisitoires où personne n’est épargné, ni famille et ni enfants.

Une absence effrayante de compassion et une haine inexpliquée et inexplicable allant à l’encontre de toutes les valeurs humaines

Le drame est qu’à ce jour, malgré la promulgation du décret 54 où l’article 24, censé mettre fin aux débordements verbaux des “peshmergas” des réseaux sociaux et devenu, par contre, une épée de Damoclès au dessus des têtes des journalistes professionnels, les campagnes diffamatoires et haineuses continuent de plus belle et en prime sur Facebook.

Donc, il ne s’agit pas autant de coercition par force de loi que d’une nouvelle culture à implanter auprès de larges franges de la population. Le principe est que la liberté d’expression ne peut plus justifier que l’on porte atteinte aux autres attaquant leur intégrité et leur probité.

Il ne faut pas que la liberté d’un homme pose des problèmes à celle d’un autre. Les propos diffamatoires, sexistes et discriminatoires doivent être dénoncés et condamnés par les usagers des réseaux sociaux eux-mêmes. Ces derniers doivent être conscients que le fait de donner du crédit aux experts des injures représente une menace potentielle pour eux parce que de “fans” (sic), ils peuvent en devenir eux-mêmes les victimes.

La liberté d’expression, résultante de longs combats tout au long de l’histoire de l’humanité sacrant le respect de l’autre et promouvant le droit à la différence a soudain tourné dans notre pays, en des procès publics, très fréquemment commandités et rémunérés

De nouveaux réflexes doivent être développés et encouragés pour sévir sur les réseaux sociaux. Faire un signalement en ligne pour stopper la diffusion d’un contenu inapproprié, ou de propos injurieux, bloquer les auteurs desdits contenus, les dénoncer, sont des réflexes qu’il faut implanter dans la sphère des consommateurs réguliers des réseaux sociaux.

Dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, on peut lire « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Aujourd’hui, c’est une prise de conscience générale dont on a besoin pour que les réseaux sociaux ne soient pas des arènes où les mots tuent.

Amel Belhadj Ali