En dépit des incertitudes politiques préoccupantes qui planent sur la Libye, le gouvernement de stabilité nationale (GSN) du maréchal Khelifa Haftar basé à l’est de la Libye, a pris le risque d’engager un vaste programme de reconstruction et d’en exclure, à priori,  les entreprises tunisiennes.

Ce programme intervient suite aux énormes dégâts occasionnés aux infrastructures par la guerre civile et les catastrophes naturelles, particulièrement,  les inondations qui ont touché, au mois de septembre 2023, les régions de Derna et de Jabal Al akhdar.

Ce dernier marché est estimé, à lui seul  par la Banque mondiale, l’Union européenne et l’ONU à 1,8 milliard de dollars.

Les entreprises turques et égyptiennes partagent le gâteau

Les premières entreprises qui ont bénéficié des premiers marchés sont turques et égyptiennes. Ainsi la Société turque « TGG Construction » vient de remporter des contrats  pour la réalisation, à Benghazi, de trois tours. La valeur de ces contrats n’a pas été révélée.

Ces tours dont la Tour la plus haute mesurera 124 mètres devraient abriter des installations hôtelières, des résidences et des bureaux. Objectif : hisser la ville de Benghazi au rang d’une grande métropole méditerranéenne.

“La Libye reste un État fragile, prisonnier de l’incertitude politique.” – Fonds monétaire international (FMI), 10 juillet 2024.

Les entreprises égyptiennes ont remporté à leur tour de juteux contrats pour la construction de Derna et de Jabal Al Akhdar.

C’est un proche du maréchal Haftar, en l’occurrence le directeur général du Fonds de développement et de restructuration de la Libye et Directeur exécutif du Fonds  de reconstruction, Belgacem Haftar qui a signé les nouveaux contrats avec deux entreprises de construction égyptiennes : la société « Arab Contractors » et la société « Néom » . Ces sociétés seront chargés de la construction de plusieurs ponts à Derna et les zones de Jabal Akhdar touchéees par les inondations.

Pour mémoire, le GSN avait déjà signé, au mois de janvier dernier, des contrats majeurs avec les entreprises égyptiennes « Neom » et « Wadi Al Nil compagny » pour la construction de 11 nouveaux ponts à Derna, 2 à Ajdabya et trois à Benghazi .

La Tunisie paye-t-elle les conséquences de sa neutralité dans le conflit inter-libyen

Dans ce business florissant qui est en train d’émerger à l’est de la Libye, les entreprises tunisienne ne sont pas présentes.

“Les relations avec la Libye, un pays immensément riche, ne sont pas au regard de cette animosité au beau fixe. Elles gagneraient à faire l’objet d’une nouvelle vision stratégique.”

Selon certains observateurs avertis, cette exclusion est le fruit de la neutralité que la Tunisie observe dans le conflit inter-libyen. Un conflit  qui oppose, depuis des années, le GSN du maréchal Khalifa Haftar basé à Benghazi à l’est du pays et le gouvernement d’unité nationale (Gun) reconnu par la communauté internationale et dont Abdulhamid Dabaiba est le premier ministre libyen. Le GUN est basé à Tripoli, à l’ouest du pays.

En dépit d’un cessez le feu, la situation est toujours inquiétante. En témoigne une analyse publiée, le 10 juillet 2024,  par le Fonds monétaire international (FMI). On y lit que « la Libye reste un Etat fragile, prisonnier de l’incertitude politique”. Et le Fmi d’ajouter que « les épisodes de violence sont devenus moins fréquents, mais le pays reste de facto divisé entre l’Ouest et l’Est et fragmenté entre diverses milices aux objectifs concurrents ».

Dans ce paysage politique instable, les belligérants en place ne prêtent aucune attention à la Tunisie qui a pourtant rendu d’éminents services aux libyens en accueillant, durant la période des bouleversements de 2011, plus d’un million de réfugiés libyens.

Animosité libyenne vis-à-vis de la Tunisie ?

En signe de « reconnaissance » les deux belligérants font tout non seulement pour exclure les entreprises tunisiennes du juteux marché de la reconstruction (111 milliards  de dollars) comme c’est le cas à Benghazi, mais également pour déstabiliser la Tunisie en tolérant, à l’ouest, les passages de milliers de migrants irréguliers à travers la frontière tunisienne. La Tunisie, qui n’a aucune frontière avec les pays émetteurs de migrants se trouve ainsi malgré elle et paradoxalement, mêlée à un grave flux migratoire.

Un flux que la Tunisie gère et paye en plus avec ses propres moyens. Le chef du gouvernement Ahmed Hachani qui vient de participer à Tripoli aux travaux du forum sur « la migration transméditerranéenne », n’a pas manqué de le signaler. Il a indiqué que « la Tunisie a fait face au problème de la migration irrégulière en utilisant tous les moyens logistiques et matériels alors que les aides fournies sont très faibles, appelant à la nécessité d’aider la Tunisie à traiter la question migratoire, dont elle n’assume pas la responsabilité ».

Plus inquiétant encore, le gouvernement tunisien n’est pas parvenu jusqu’à ce jour et après une dizaine d’années de négociation, à récupérer des impayés libyens, et ce, en dépit d’un engagement ferme du gouvernement du GUN Abdulhamid Dabaiba. Il s’agit pour mémoire de récupérer quelque 150 Millions de dollars, montant de la dette libyenne auprès des entreprises tunisiennes. C’est ce qu’on a appelé à un certain moment « la dette hospitalière libyenne » envers les entreprises tunisiennes.

En plus de l’ensemble de ces problèmes, le gouvernement d’unité nationale de l’ouest du pays prend un malin plaisir à traquer et harceler les contrebandiers du carburant libyens et tunisiens.

Sous prétexte de lutter contre ce marché illicite, le Gun pose de sérieux problèmes sociaux et économiques à la Tunisie en ce sens où il prive les communautés tunisiennes du sud-est, d’une importante source de revenu et les finances publiques tunisiennes d’importantes économies de devises dédiées à l’importation d’hydrocarbures.

C’est pour dire au final que les relations avec la Libye, un pays immensément riche, ne sont pas au regard de cette animosité au beau fixe. Elles gagneraient à faire l’objet d’une nouvelle vision stratégique.