Dire la vérité sur l’économie nationale, crument sans customisation, sans chichi et sans peur, voilà ce qui manque aujourd’hui sur la scène publique. Les voix, dont celles de Aram Belhadj, Ezzeddine Saidane, Hechmi Alaya et beaucoup d’autres, semblent dissonantes dans un espace public et médiatique où pour beaucoup, la posture de l’autruche qui met la tête dans le sable dès qu’elle se sent menacée, est la mieux adoptée. La lâcheté est devenue la règle la plus suivie, l’intelligentsia n’osent plus émettre ne serait-ce qu’un balbutiement de peur d’être “jugés et condamnés” sous différents prétextes ! Le capital est lâche, n’est-ce pas ?
L’économie tunisienne se porte mal, et parce que de la vérité dépend notre crédibilité et du courage de dire ce qui est, nous estimons important de la dévoiler, parce que communiquer vrai est indispensable pour que notre pays prenne la bonne direction et pour que si les décideurs politiques ont été induits en erreur, apprécient peu ou mal la situation, ils puissent rectifier le tir.
Nous avons choisi, cette fois-ci, de publier l’état des lieux de l’économe nationale publié par Hechmi Alaya, que nous prenons très souvent à témoins dans les articles publiés sur WMC parce que digne représentant des économistes Tunisiens.
S’inspirant de la célèbre citation du grand savant Galilée “Et pourtant, elle tourne” (E pur si muove !) forcé d’abjurer sa théorie mettant le soleil au cœur de notre Système solaire, Hechmi Alaya réponds ci-après à tous ceux qui prétendent que l’économie nationale se porte à merveille et que le compter su sois lui a été bénéfique : “Et pourtant elle coule”.
Ci-après son analyse :
“L’économie tunisienne continue de sombrer. En cette période de grandes chaleurs, où les regards sont absorbés par les baigneurs qui se noient, très peu se soucient de la noyade du pays. Nonobstant le déni de réalité́, l’économie tunisienne se noie et n’en finit pas de sombrer dans les abysses. En témoigne, l’aggravation périlleuse de certaines tendances économiques.
La Tunisie est de moins en moins en situation de produire des richesses et ses performances extérieures sont vraiment alarmantes. Le pays figure désormais parmi les champions de l’inflation alimentaires et lanterne rouge du développement numérique.
En l’absence de maître-nageur pour la sauver de la noyade, la société́ se déleste de ce qui fait sa vitalité́ et s’appauvrit. L’économie est de moins en moins en situation de produire des richesses. Au-delà̀ de la médiocrité exceptionnelle de la moisson des deux dernières années, c’est un fait attesté par la recrudescence des achats à l’étranger de céréales, que le pays est de moins en moins en capacité de produire pour satisfaire sa consommation : le taux de dépendance aux céréales importées a grimpé de 70,9% en moyenne 2010-2019 à 81,6% depuis la sortie de la crise sanitaire (2021-2024).
Le déclin agricole n’a d’équivalent que celui de l’industrie. De 18,7% en 2000-2009 et 17,1% en 2010-2019, l’industrie manufacturière ne contribue désormais qu’à hauteur de 14,8% (moyenne 2021-2023) au PIB. Appréhendée à travers l’indice mensuel de l’INS, la production industrielle est en recul quasi non-stop depuis 12 mois.
Mais le plus alarmant est la baisse continue de la production d’électricité́ depuis la sortie de la crise de la COVID (-11,6% entre le 1er trimestre 2024 et celui de 2021) sur fond de recul de la part du renouvelable : 4,1% de la production totale d’électricité́ en 2019-2020, seulement 2,4% au 1er trimestre de cette année”.
La production des richesses en perte de vitesse !
Il en est de même de la production de phosphate qui en est cette année (mois de mars) à son 17ème mois de recul consécutif. Au rythme enregistré au 1er trimestre, elle ne devrait pas dépasser 3,2 millions de tonnes cette année. L’économie est de moins en moins en capacité de dégager un surplus exportable.
La débâcle de l’activité́ de production de richesses est d’ores et déjà̀ inscrite dans les chiffres du commerce extérieur : baisse quasi continue depuis le début de l’an dernier, des importations de produits miniers, intermédiaires et d’équipement. Ils n’ont représenté au 1er semestre que 61,2% des importations totales soit, la part la plus faible depuis vingt ans.
Le déclin de notre commerce extérieur ne date pas d’hier. Il s’est aggravé considérablement ces dernières années. Les exportations du secteur offshore sont tombées cette année à un plus bas historique : 67,6% des exportations totales contre 72,3% durant les cinq années pré́-covid. N’eut été la hausse sans précèdent du prix de l’huile d’olive, les exportations totales seraient aujourd’hui en territoire négatif : la hausse de +2,2% sur un an en juin, correspond à 683 millions de dinars de revenus supplémentaires soit, bien moins que les 1593 millions additionnels générés entre-temps par l’huile d’olive.
Des recettes englouties dans les achats de carburants (1133 MDT supplémentaires cette année) dont la contribution au déficit commercial explose : 72,3% du déficit global après 56,3% à fin juin 2023 et 35,9% à fin juin 2022.
L’inflation loin de désarmer !
Plus que l’indice de l’ensemble des prix, c’est la hausse des prix de l’alimentation qui indique que l’inflation est loin de désarmer. Une hausse qui s’établit à mi-parcours de l’année, à plus de 10% pour l’ensemble des produits alimentaires et à plus de 11% pour les produits alimentaires libres.
Une croissance qui contraste par son ampleur, avec celle des pays de proximité́ qui souffrent la sécheresse au moins autant que notre pays : 2,5% en Algérie, 2,2% en Libye et -1,3% au Maroc.
Une flambée qui n’est pas importée (l’indice mensuel des prix mondiaux de l’alimentation de la banque mondiale est en recul constant depuis le début de l’an dernier : -6,1% sur un an) mais résulte d’une offre insuffisante, des politiques de préservation des marges bénéficiaires des entreprises attestée par l’insolente santé de la bourse et enfin, de la hausse des coûts salariaux.
La société tunisienne s’appauvrit. La revalorisation régulière des salaires n’a guère empêché́ le retournement depuis l’année 2021, de la tendance à la détérioration du pouvoir d’achat des travailleurs. Depuis le milieu de l’année 2021 et celui de cette année, la hausse de l’indice des prix de l’INS ressort à +26,8% cependant que celle des salaires minima (y compris celle qui vient d’être décrétée) n’a pris entre-temps que +14,3%. Les mêmes données de l’INS révèlent que le taux d’évolution du salaire moyen dans le secteur privé non agricole s’est établi à 5,3% en moyenne 2021-2023 contre +7,8% pour l’inflation.
Lentement mais incontestablement, le travailleur tunisien s’appauvrit d’année en année et ce, en dépit d’un distributivisme à tout va qui a porté le poids des subventions des prix des produits de base de 3,4% du PIB en moyenne 2015-2019 à 7,0% en 2021-2024 et, dans le même temps, le déficit budgétaire de 4,7% du PIB à 7,7% du PIB.
L’appauvrissement de la société tunisienne : une spirale mortifère
La spirale mortifère de l’appauvrissement de la société́ tunisienne (croissance en berne, déficit budgétaire, inflation et salaires) est de moins en moins sous contrôle. Le retard dans le domaine du numérique s’accentue. Internet ne se réduit pas à Facebook. Le réseau des réseaux est un formidable moteur pour l’économie et sans doute, le principal moteur de la croissance économique pour les années à venir et, dans la mesure où il représente une vraie révolution économique et sociale, il constitue un puissant stimulant pour les réformes structurelles.
C’est dire donc, l’importance d’une bonne connexion à internet. Une connexion qui allie la rapidité́ et la sécurité́ au coût le plus bas. Or dans ce domaine, les déboires de la Tunisie illustrent l’existence de défaillances gravissimes.
Au classement du mois de juin 2024 établi par speedtest global selon la vitesse de connexion haut débit fixe, la Tunisie est rangée à la 167ème place dans le monde sur un total de 181 pays avec une vitesse de 10,27 mégabits par seconde et à la 104ème place sur 147 pays pour la vitesse de connexion à l’internet mobile. Une « performance » qui en l’absence d’investissements, relègue les discours sur la digitalisation des services publics au rang d’une rhétorique politique sans lendemain.
« Il n’y a rien de plus élastique que l’économie » ce tableau noir n’est pas complet. Les vrais chocs -sociaux et financiers- restent à venir. L’expérience des pays latino-américains comme l’Argentine, montre que la gestion populiste à la petite semaine à coup de restrictions de changes, de laxisme monétaire et d’une économie qui sombre, peut durer pendant de longues années.
« Il n’y a rien de plus élastique que l’économie. Elle est quelque chose que tout le monde craint puisque personne ne la comprend » écrivait en 1952, le président argentin J. Péron. Faute de réformes, -devenues aujourd’hui impossibles en raison de l’enfermement du pays dans le triangle d’incompatibilités (préservation du modèle social, rejet de la mondialisation et diabolisation du secteur privé).
Le marasme économique risque de perdurer…
Présentation WMC + Ecoweek n° 28 du 21 juillet 2024