Une salle archicomble pour rassembler les élites tunisiennes de l’international, les “Tunisiens du Monde” comme les a baptisés l’ATUGE en remplacement de l’expression “TRE”.

Des élites ignorées et même oubliées pendant longtemps alors qu’elles sont de plus en plus nombreuses à partir pour maintes raisons. Améliorer leurs expertises, répondre à des offres alléchantes proposées par les pays “frères et amis” (sic), choisissant le départ parce qu’exténués par un pays où ils ne trouvent plus leur bonheur, qu’importe, les motivations sont différentes, le choix est le même : s’installer ailleurs sans pour autant couper le cordon ombilical avec le pays d’origine : on ne peut, comme l’a dit le grand poète Mahmoud Darwish, guérir de l’amour de la Tunisie, un amour qui irrigue nos âmes.

Nabil AMMAR
Nabil AMMAR

La scène est la grande salle de conférence de l’Académie diplomatique de Tunis, le “producteur” et les “réalisateurs” sont Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères et ses équipes toutes mobilisées pour l’organisation du 1er Forum National des Compétences Tunisiennes à l’Étranger tenu les mardi et mercredi 6 et 7 août 2024 et qui a vu la participation de plus de 300 compétences.

A l’ouverture du Forum auquel ont assisté le gouverneur de la banque centrale, Fathi Ennouri ainsi que les ministres des Technologies de la Communication et des Finances, Nabil Ammar a insisté sur le grand intérêt qu’accorde la Tunisie aux élites et compétences tunisiennes établies à l’international.

Les TRE ont toujours fait preuve de résilience et ont constitué un soutien infaillible et inconditionnel

Il a tenu à préciser que la vision de l’État tunisien quant aux expatriés, qui ne sont plus qu’une main d’œuvre bon marché destiné à satisfaire les besoins du marché du travail en Europe ou ailleurs, a changé.

“Ces compétences constituent une partie intégrante et précieuse de notre Nation et un pont humain et culturel reliant la Tunisie aux pays frères et amis sur les cinq continents. Nous sommes en train de suivre avec beaucoup d’attention les changements survenus dans le monde et l’évolution de la communauté tunisienne expatriée”.

Évitant de relever le rôle, du reste très réducteur, de nos expats en tant que pourvoyeur de devises, le ministre a assuré que l’objectif principal de l’organisation de la manifestation est de bâtir un partenariat réel avec les Tunisiens à l’étranger, les considérant comme des partenaires essentiels dans la promotion et le développement du pays.

“Unir toutes nos forces et mobiliser nos énergies pour assurer notre sécurité nationale et protéger nos intérêts est capital. Nos compatriotes à l’étranger, et particulièrement nos compétences peuvent contribuer à l’effort national visant le progrès et la prospérité de la Tunisie et représentent un élément essentiel dans le processus de réformes globales initié dans le pays. La Tunisie a besoin de tous ses soft power”

Les Expat : locomotive de croissance via le levier de l’investissement

Fathi Ennouri, gouverneur de la Banque centrale, a, pour sa part, rappelé le rôle social et économique des résidents à l’étranger dans les moments des crises auxquelles la Tunisie a été confrontée.

“Les transferts effectués par les TRE ont toujours fait preuve de résilience et ont constitué un soutien infaillible et inconditionnel pour l’appui financier de nos familles et la consolidation des avoirs en devises et de l’épargne nationale. Avec 1,8 million de Tunisiens résidents à l’étranger, selon le recensement réalisé par le ministère des Affaires Étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’Étranger, dont 50% sont des actifs composés de techniciens, de cadres et de professions libérales, les transferts des TRE au terme de l’année 2023 se sont affermis de 5,4% pour atteindre le niveau appréciable de presque 9 milliards de dinars, soit 5,6% du PIB. Cet élan s’est poursuivi lors du premier semestre 2024 avec des transferts d’un montant de 4,3 milliards de dinars”.

Les Tunisiens de l’étranger, et particulièrement nos compétences peuvent contribuer à l’effort national visant le progrès et la prospérité de la Tunisie

Le gouverneur a insisté sur le fait que l’ambition de l’État tunisien est d’élargir le statut des expat de pourvoyeur d’épargne à celui d’une locomotive de croissance et ce, via le levier de l’investissement.

“Le gouvernement et la BCT travaillent en étroite collaboration pour que les différentes structures administratives, les banques et autres institutions financières instaurent un climat de confiance permettant aux tunisiens résidents à l’étranger de profiter pleinement des opportunités d’investissement offertes par l’économie tunisienne et des avantages que leurs procurent la règlementation des changes.

Parmi ces avantages on peut citer, les TRE ont la possibilité de conclure des contrats de crédits et l’ouverture de comptes en dinars ainsi que la gestion de leurs patrimoines en Tunisie et l’accomplissement de toutes activités y afférentes. Les Tunisiens de l’étranger à l’opposé des autres personnes physiques non-résidentes, bénéficient de la liberté d’investissement dans tous les secteurs économiques avec la garantie de transfert de leurs revenus d’investissements”.

Pour rappel, le nouveau code de change approuvé par le gouvernement n’a pas encore été promulgué !

Améliorer les services consulaires : that’s the point !

Le Forum a offert à Nabil Ammar, l’occasion d’assurer les “Tunisiens du monde” de l’engagement de son ministère dans l’amélioration des services consulaires et administratifs, à travers la digitalisation, en activant le portail E-Consulat et en renforçant les ressources humaines et financières des missions diplomatiques et consulaires, il a aussi promis plus de disponibilité.

Il les a appelés à être les voix de la Tunisie “victime de toutes sortes de campagnes de diffamation et de dénigrement”. Dans le panel médias qu’il a lui même animé, le ministre s’est dit étonné par la gratuité des attaques à l’encontre du pays.

“Nous ne sommes jamais intervenus dans les affaires d’aucun autre pays, nous ne nous le permettons pas. Tout ce qui se passe à l’intérieur de notre pays est tuniso tunisien. Nous n’avons pas de leçons à recevoir de pays comme nous. Nous vous demandons, en revanche, à être nos relais à l’international pour faire entendre notre voix. Nos diplomates sont prédisposés à étudier vos suggestions et accompagner vos actions”.

Les expatriés (e) tunisiens (ne) participant au panel ont eux (elles) aussi affirmé être pleinement engagés dans la promotion de la Tunisie bien qu’il ne soit pas aisé de pouvoir communiquer avec les hauts responsables nationaux fermés sur eux-mêmes et évitant de s’exprimer à l’international. Une journaliste tunisienne sise aux États-Unis a interpellé Nabil Ammar : “Monsieur, lors du passage d’un ministre dans une manifestation internationale, je lui ai proposé mes services et le réseau dont je dispose, pour faire parler de la Tunisie, il m’a opposé, un niet définitif. Comment aider notre pays lorsque ses hauts représentants eux-mêmes boudent les médias et refusent de communiquer”.

Ce à quoi M. Ammar s’est dit étonné, en insistant de nouveau sur le fait que son ministère et ses hauts cadres sont ouverts aux médias et aux propositions venant de tous les concitoyens de l’étranger pour le bien de la Tunisie.

Unir toutes nos forces et mobiliser nos énergies pour assurer notre sécurité nationale et protéger nos intérêts est capital.

Outre le panel consacré aux médias, 4 autres panels ont été consacrés à l’axe économique et financier, au développement du climat des affaires et de l’investissement, l’axe de l’innovation, de l’entrepreneuriat, de l’innovation technologique et du développement durable, celui de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle et celui de la gouvernance des relations avec les compétences tunisiennes à l’étranger et du suivi des résultats du forum.

Parmi les recommandations des participants, nous pouvons citer des propositions pour la mise en place d’un cadre durable pour le dialogue et l’écoute des préoccupations des compétences à l’étranger, leurs suggestions, ainsi que pour l’encadrement et l’accompagnement des initiatives visant les actions œuvrant pour le développement du pays. Mettre en place une plateforme numérique et une base de données sur les compétences tunisiennes à l’étranger et un réseau public international pour faciliter la communication avec les compétences et entre elles.

L’organisation de pareils forums est importante à double titre : elle permet d’identifier les élites tunisiennes de l’international, de rétablir le lien entre elles et leur pays d’origine, de leur démontrer qu’ils ne sont pas que des tirelires de devises pour la Tunisie et qu’ils peuvent être de véritables acteurs dans la construction du pays et son développement aussi bien socioéconomique que scientifique et culturel.

Reste que pour réussir, le MAE, malgré tous les efforts déployés et ils sont gigantesques, ne pourra pas mener à bien sa mission, s’il ne récupère pas toutes les structures liés à la communauté tunisienne à l’international dont l’OTE, et ce pour que ses actions soient plus efficientes et réalisables. Il va falloir qu’on décide si les Tunisiens de l’étranger relèvent de ses prérogatives où s’il n’est qu’un simple bureau servant à livrer les passeports, pièces d’identité et certificats de naissance ou de décès !

Le ministère qui a besoin pour réussir, sa diplomatie économique, d’une plus grande coordination avec les ministères concernés, ne pourrait pas réussir sans qu’une stratégie mise en place en haut de la pyramide de l’État lui donne plus de liberté d’action et de décision pour mener des opérations promotionnelles efficientes pouvant œuvrer pour le rayonnement de la Tunisie à l’international.

Tout ceci pour dire que l’on peut être doté de toute la bonne volonté du monde, et c’est le cas du MAE aujourd’hui, mais on ne peut pas être efficace si la machine de l’État ne suit pas.

Il faut bien choisir un chef d’orchestre pour mener le bal promotionnel de la Tunisie. Dans le cas contraire, chacun exécutera sa propre dance, mais personne n’achèvera l’œuvre d’autant plus que la Tunisie, depuis la disparition de l’ATCE, ne dispose d’aucune agence de communication extérieure.

Amel Belhadj Ali