PhosphateAvec des réserves confirmées de 2,5 milliards de tonnes de phosphate et au regard du trend haussier que connaît, de plus en plus, le cours de ce minerai fort prisé à l’international, la Tunisie aurait pu disposer, avec une éventuelle production moyenne de 10 millions de tonnes par an, d’une importante manne de devises pour rembourser, dans des conditions acceptables, ses dettes et booster son développement, et ce, durant deux siècles -bien deux siècles-.

Malheureusement, nous sommes loin de ce scénario idyllique. Avec une moyenne de production annuelle de 2 millions de tonnes depuis dix ans, la Tunisie est loin du compte.

Pour mémoire, la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) produisait, avant 2010, 8 millions de tonnes par an et avait une stratégie pour produire 15 millions de tonnes à l’horizon 2015 avec 7000 employés seulement. Elle n’en produit, aujourd’hui, que 3,8 millions de tonnes (chiffre de 2021) avec un effectif qui a triplé depuis 2011.

A l’origine de cette contreperformance assassine, quatre facteurs : l’absence de vision stratégique pour ce secteur, la bureaucratie, la corruption et l’incompétence des gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays, depuis une douzaine d’années.

Des conseils ministériels qui ressassent les mêmes problématiques

A titre indicatif, les deux derniers premiers des ministres, Nejla Bouden et Ahmed Hachani ont tenu de multiples conseils ministériels sans aucun résultat tangible. C’était tout simplement de la réunionite.

A preuve, il y a une année et 5 mois, un communiqué insipide de la présidence du gouvernement de l’époque, nous apprend que le secteur du Phosphate en Tunisie et les perspectives de son développement ont été à l’ordre du jour du Conseil ministériel restreint qui a eu lieu, le 11 avril 2023, sous la présidence de la cheffe du gouvernement, Najla Bouden.

“Avec des réserves confirmées de 2,5 milliards de tonnes de phosphate, la Tunisie aurait pu disposer d’une importante manne de devises.”

Le communiqué ajoute que «les plans d’action de la Compagnie des Phosphates Gafsa et du Groupe chimique tunisien et les projets permettant de renforcer leur productivité ont été à l’ordre du jour de la réunion ministérielle. Dans ce contexte, l’accent a été mis sur la nécessité de rétablir le transport du phosphate par voie ferroviaire en vue de booster la productivité du secteur minier ».

Une année et cinq mois après, nous sommes toujours au point zéro. Un autre communiqué de la présidence du gouvernement d’ Ahmed Hachani, nous informe qu’un conseil ministériel restreint a approuvé, le 7 août 2024, le programme de développement de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) pour 2025-2030.

Entendre par là que le gouvernement a reporté les problèmes du secteur à 2030. Et pour fouetter notre égo, le communiqué croit nous épater en faisant remarquer que « ce programme vise à moderniser le transport du phosphate par train, à aménager les espaces de conditionnement nécessaires, à accélérer la construction de l’unité de production d’Om Al-Khachab à Gafsa ». Du labla labla…

Le seul projet réalisable, à court terme, risque d’être encore reporté

Mention spéciale pour le projet d’Oum Al-khachab qui est à un stade assez avancé. Ce projet, qui prévoit de produire, annuellement, 2,4 millions de tonnes de phosphate destinées à être transformées en acide phosphorique et en engrais phosphatés pour satisfaire les besoins des usines de Tifert (Skhira) et de Mdhilla 2, peut entrer en production, dans une année et demi, pour peu que certaines difficultés soient surmontées. Celles-ci ont trait à moult problèmes : problèmes fonciers, problèmes au niveau de la construction d’une centrale électrique pour laverie, problèmes avec le fournisseur chinois.

“L’absence de vision stratégique, la bureaucratie et la corruption sont à l’origine de cette contreperformance assassine.”

Comme on le constate, il s’agit de problèmes qui sont pour la plupart du ressort de l’administration tunisienne. Seulement, à défaut de volonté politique, elle a laissé traîner les problèmes.

Plus grave encore, ce projet réalisable à court terme risque d’être retardé encore en raison du sous-équipement de la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG).

La CPG sous-équipée serait incapable d’honorer ses engagements

D’après Radhi Meddeb, ancien ingénieur à la CPG, la Compagnie serait actuellement sous équipée. D’après lui, au regard des dommages occasionnés, depuis 2011, à son matériel, la CPG ne serait pas, selon lui, en mesure, par l’effet de la bureaucratie et de la complexité des procédures des marchés publics de disposer, dans les délais requis, de la totalité de son parc roulant, 800 engins sophistiqués nécessaires pour l’extraction et le transport de phosphate dans des conditions compétitives. Sur ce total, 400 seraient à l’arrêt.

“La CPG, sous équipée, serait incapable d’honorer ses engagements.”

L’expert, qui s’exprimait il y a plus de deux ans sur les colonnes du magazine l’Economiste Maghrébin, pointe du doigt la bureaucratie et la complexité des marchés publics. Car pour remettre ces engins en état de fonctionnement, dit-il, il faut commander les pièces endommagées (cartes électroniques et autres) auprès d’un fournisseur spécialisé à l’étranger. Cette procédure peut durer à elle seule 18 à 24 mois parce que ça se fait à la demande.

L’analyse de l’expert vient d’être vérifiée et confirmée. Et pour cause : c’est seulement ces jours-ci que la CPG commence à prendre livraison de quelques nouveaux engins (août 2024).

Selon Mohamed Daboubi, président du comité préparant le cahier des charges pour l’acquisition de nouveaux équipements pour la Compagnie des Phosphates de Gafsa, a indiqué que la société a conclu un accord en cinq tranches d’une valeur financière d’environ 63 millions de dinars pour l’achat de 18 camions d’une capacité de 60 tonnes, six chargeuses d’une capacité de 4,5 mètres cubes, deux pelles rotatives et cinq chargeuses sur roues.

Il a ajouté que deux tranches de cet accord sont arrivées et sont entrées en exploitation, représentées par des camions et cinq transformateurs sur roues, tandis que la troisième tranche arrivera bientôt, représentée par les deux excavatrices.

Quant on sait que les besoins sont estimés à 400 engins à remplacer et que ceux qui sont livrés se chiffrent à 30, on comprend tout le retard qu’accuse la CPG pour être compétitive sur le marché.

En l’absence de deux études, la visibilité du secteur reste nulle

Plus grave encore, par delà ces problèmes de logistique auxquels est confrontée la CPG, il y a lieu de signaler le retard qu’accusent deux études déterminantes dont dépend l’avenir du secteur du phosphate en Tunisie.

La première, intitulée « étude stratégique du secteur du phosphate et dérivés à l’horizon 2035 ». Cette étude se propose de définir les orientations futures du secteur, s’agissant notamment de l’extraction, du transport, du traitement, du stockage et de la livraison jusqu’aux sites de transformation et aux ports , ainsi que de la logistique.

“En matière de phosphate, nous sommes toujours au stade zéro.”

Le second projet d’étude porte sur le transport hydraulique du phosphate commercial, son alimentation en énergie propre (solaire) et son approvisionnement en eau dessalée. Il s’agit de la technologie du Slurry pipe line.

C’est pour dire au final qu’en matière de phosphate, nous sommes toujours au stade zéro et qu’en attendant les conclusions de ces études, l’actuelle équipe en charge du secteur semble oublier qu’elle navigue à vue. A bon entendeur…

Abou SARRA