Que pourrait faire un Kamel Madouri, nouveau chef du gouvernement pour enclencher un changement de braquet salutaire pour l’économie nationale ? Une économie qui, aux dires de Hechmi Alaya, économiste émérite, auteur du magazine hebdomadaire “Ecoweek”, n’a jamais été aussi mal en point depuis les années 2000 et qui fait de la Tunisie “Un modèle économique” à ne pas suivre.

A ceux qui ont crié victoire parce que les estimations issues des comptes nationaux trimestriels évaluent à 1% le taux de croissance du PIB en volume au cours du deuxième trimestre de l’année, nous rappelons que le PIB n’a pas encore atteint le niveau de 2019 avant l’avènement de la pandémie covid+. La croissance est de 0,6% sur tout le semestre, une croissance nulle pour un pays qui doit faire au moins 6% de taux de croissance pour amorcer une relance économique salvatrice.

5 ans, 4 chefs de gouvernements, sans compter le dernier en date, et mis à part l’arrestation de grands dirigeants de groupes dans le cadre de la lutte contre le clientélisme, les cartels, le monopole et la spéculation ou encore la neutralisation de certains activistes de l’UGTT, qui faisaient la pluie et le beau temps dans la vie socioéconomique et qui ont poussé nombre d’entreprises à déserter la Tunisie lors de la décennie noire, on ne voit pas de grandes avancées économiques. Les fondamentaux n’ont pas encore recouvert leur santé.

Un pays dont l’arrogance n’a d’équivalent que sa prétention à défier les lois de l’économie et de la finance est un vrai sujet d’inquiétude.

La productivité́ du travailleur tunisien ne cesse de reculer alors que le chômage est toujours à 16% dans une économie qui ne génère pas suffisamment d’emplois comparativement à l’augmentation de la population active. “Entre 2012 et 2019 (la moyenne annuelle de la croissance économique est égale à 2,2%) la population active a augmenté plus rapidement que l’emploi (1% contre 0,4% respectivement). En moyenne annuelle sur les dix dernières années (2011-2019), 31.000 emplois ont été créés par an alors que la population active a augmenté de 50.200 personnes par an et la population en âge de travailler de 90.000 personnes”.

5 ans après 2019 et la pandémie covid+, les choses n’ont pas encore évolué. Plus récemment, à l’INS, on parle d’un nombre de chômeurs de l’ordre de 661,7 mille, contre 669,3 mille au premier trimestre 2024. Une baisse très relative du taux de chômage qui n’annonce pas une reprise économique.

La désindustrialisation se poursuit

Les investissements seul moyen d’absorber le chômage, n’ont pas encore atteint leur vitesse de croisière. L’API a annoncé 1373 projets déclarés pour le premier semestre 2024, représentant un total de 377,4 MD d’investissement et pouvant créer 11.022 emplois.

36% seulement des investissements déclarés sont dans le cadre des projets de création, les autres c’est des extensions, du renouvellement de matériel…, ont atteint 673,6 MD, le nombre de ce type de projets est de 313 projets et les emplois y afférents ont atteint 7107 au cours du premier semestre de l’année 2024.

Outre le fait que parler de projets ou d’investissements déclarés ne rime pas forcément avec investissements réels, on relève le fait que les investissements étrangers n’ont pas dépassé les 6% conjugués à 3% mixte. Les 91% restants sont le fait d’opérateurs tunisiens.

La Tunisie a besoin du courage des décideurs politiques : le courage de dire et de faire

Commentaire de Hechmi Alaya : “L’investissement industriel est l’indicateur le plus préoccupant de l’économie tunisienne. Mesuré à l’aune des déclarations à l’APII, s’établit au 1er semestre de cette année à son niveau le plus faible – aussi bien en dinars courants qu’en pourcentage du PIB – depuis près d’une vingtaine d’années : 0,6% du PIB vs 2,4% en moyenne 2005-2009. Pis, jamais les « créations » nouvelles ne sont tombées aussi bas (35,9% du total des déclarations contre 56,2% en moyenne des années 2010-2019) et jamais aussi, les projets « totalement exportateurs » n’ont représenté une part aussi faible: 14,7% des déclarations à l’APII contre 30,3% en moyenne 2019-2023”.

La désindustrialisation n’aide pas à une reprise plus importante des exportations qui n’auraient même pas pu progresser de 2,4% entre janvier et juillet 2024, si ce n’est les +39,2% des industries agroalimentaires grâce à la hausse des ventes en huiles d’olives qui ont atteint les 3636,2 MD contre 2095,3 MD en 2023.

Les exportations du secteur de l’énergie ont augmenté de 19,4%, ceux du secteur des industries mécaniques et électriques affichent une croissance très timide de 0,8% beaucoup mieux que les industries textiles, habillement et cuirs de -7,6%.

Comme attendu, l’État tunisien est, à ce jour, incapable de remettre la machine de production du secteur de mines, phosphates et dérivés en marche. Elle continue sur la pente descendante : -7,9%.

Les principaux moteurs l’investissement et la productivité de la Tunisie sont soit à l’arrêt soient tournent à l’envers

S’agissant des autres fondamentaux économique dont l’inflation, pouvons-nous parler d’une réelle amélioration lorsqu’à juillet 2024 et sur une année, les prix de l’alimentation ont augmenté de 9,4% sur un an, en raison de l’augmentation des prix des viandes ovines de 24%, des huiles alimentaires de 21,8%, des condiments de 16%, des prix des poissons frais de 12,5% et des prix des légumes frais de 9%.

Sur seulement le mois de juillet, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 0,4%. Les prix des fruits ont progressé de 3,6%, des viandes bovines de 0,8% et des poissons frais de 0,7%.

Et pour terminer un indicateur économique alarmant est celui du taux d’endettement public qui au terme de juin 2024, a atteint 127,4 milliards de dinars, soit 10713 dinars par Tunisien alors que le salaire annuel moyen est de l’ordre de 11080 dinars (chiffre de a 2022), ce qui fait de tous, actifs ou pas actifs des endettés à vie.

“Avec des ressources propres cannibalisées par le service de la dette, l’État en est réduit à ajuster à la hausse les prix des services publics (électricité́, eau, etc.) et à accepter la détérioration des transports publics, de l’éducation et la pénurie s’agissant de nombreux produits de première nécessité”.

“Tout diagnostic porte en lui-même sa solution, d’où la nécessité de porter le bon diagnostic au bon moment”.

“Les principaux moteurs l’investissement et la productivité de la Tunisie sont soit à l’arrêt soient tournent à l’envers. Un pays dont l’arrogance n’a d’équivalent que sa prétention à défier les lois de l’économie et de la finance est un vrai sujet d’inquiétude” déplore Hechmi Alaya.

La situation que vit aujourd’hui la Tunisie, exige la démarche de lucidité pour réussir la sortie de crise. La cosmétique ne sert plus à rien sinon qu’à faire reculer les échéances d’un effondrement que personne ne souhaite. Pour les économistes : “Tout diagnostic porte en lui-même sa solution, d’où la nécessité de porter le bon diagnostic au bon moment”.

Le bon diagnostic en la matière ne consiste pas à dire que la crise des produits alimentaires est dû principalement à la spéculation, que la désindustrialisation et le désinvestissement sont causés par des traitres hostiles à toute avancée économique du pays et qu’envoyer le FMI balader débarrassera la Tunisie de sa dépendance aux bailleurs de fonds internationaux!

La Tunisie a besoin du courage des décideurs politiques : le courage de dire et de faire.

Amel Belhadj Ali

Sources : ITCEQ, API, Ecoweek