Gouvernement
Gouvernement Madouri

Un gouvernement de 24 ministres dont 19 ont été remplacés sur décision du président de la République Kais Saied, dimanche 25 août. Qu’est ce qui justifie l’urgence et le pourquoi du limogeage/nomination de nouveaux ministres, juste quelques semaines avant les élections présidentielles ? Quelques CV des nouveaux “élus”, nous permettraient peut-être de saisir une logique présidentielle que nous, simples mortels, sommes incapables de comprendre !

Cinquantenaires, c’est la moyenne d’âge des nouveaux ministres. La logique qui a prévalu depuis 2011 et qui répondait aux vœux des nouveaux arrivants sur la scène politique nationale voulant “apaiser” une jeunesse révoltée en nommant des jeunes inexpérimentés à la tête de nombre de départements ministériels, a fait place, à voir les parcours des nouveaux ministres, à des hauts cadres de la fonction publique. Serait-ce la raison du changement de cap “Age” ou une réponse, à des fins électoralistes, à l’insistance d’une grande frange du peuple appelant à plus de compétences au gouvernement, à puiser dans la haute administration publique les nouveaux dirigeants et à des réalisations concrètes qui améliorent son vécu au vu des échecs à répétition des choix précédents ?

Voyons, quelques noms et en prime le ministre des Affaires étrangères.

Sous le gouvernement Mechichi, au temps où Othmane Jarandi faisait la pluie et le beau temps au ministère des Affaires étrangères, Mohamed Ali Nafti, alors Secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger a été limogé sans raisons apparentes car le monsieur est connu pour être fin diplomate, droit et respectueux des lois et des hiérarchies. En 40 ans de carrière, il a gravi tous les échelons de l’Administration des Affaires étrangères depuis le poste de secrétaire des Affaires étrangères en passant par plusieurs services et en occupant nombre de postes importants, ambassadeur, directeur général et ministre plénipotentiaire.

“Le nouveau gouvernement est composé de technocrates, magistrats et universitaires, tous dotés d’une longue expérience dans leurs domaines respectifs.”

Il y a une tradition de plus en plus ancrée en Tunisie : pour être ministre, il faut avoir été tout d’abord limogé…mais bon, on s’habitue à tout !

Autre ministère, autre haut fonctionnaire : Samir Abid, ministre du Commerce et du Développement des exportations est lui aussi un pur produit du ministère dont il tient aujourd’hui les rênes. DGA au CEPEX, il a intégré le ministère du Commerce en 1988.

Samir Abdelhafidh, “venu d’ailleurs” et nommé ministre de l’Économie et du Développement, cinquantenaire, a juste occupé depuis janvier 2024, le poste de secrétaire d’État chargé des petites et moyennes entreprises au sein du ministère de l’Économie et du Plan. Professeur d’Enseignement Supérieur, ses travaux de recherche ont porté sur des problématiques liées essentiellement à l’économie internationale et aux déterminants de la croissance, ce qui, éventuellement expliquerait le choix porté sur lui.

Sofiane Tekaya, ministre du Tourisme, polytechnicien, expert dans le marketing stratégique, le droit des affaires et la gestion d’entreprises, la planification, le pilotage et le management des projets a été conseiller chargé de mission au cabinet du ministre du Commerce et PDG de l’Office de l’Artisanat. Son choix est-il dû au fait que dans le tourisme, il est beaucoup question de marketing et de promotion ? Attendons voir.

“Les questions qui se posent sont : pourquoi tant de changements à quelques semaines des élections ? Quel coût économique pour les contribuables ?”

Riadh Chaoued, 59 ans, ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, passé du poste de chef de cabinet à celui de ministre, est lui aussi un pur produit du ministère.

Pareil pour Ezzeddine Ben Cheikh, promu ministre de l’Agriculture, de la Pêche et des Ressources hydrauliques après avoir été le PDG de SECADE NORD (Société d’exploitation du canal et des adductions des eaux du nord) et Sofiane Hemissi, ministre des Technologies de l’information qui a réalisé des projets importants au sein du ministère qu’il dirige aujourd’hui.

Dans l’ensemble, le nouveau gouvernement est composé de technocrates, magistrats et universitaire, tous dotés d’une longue expérience dans leurs domaines respectifs et promus au sein de leurs propres départements.

“Le mot d’ordre aurait été, plus de coordination et plus de communication entre les différents départements ministériels.”

Miracle tunisien ! On peut brûler les échelons administratifs d’un simple “trait de crayon” mais à ce jour, nous sommes incapables de simplifier des cadres légaux paralysants pour l’économie nationale par un simple trait de crayon !

Le mot d’ordre aurait été, plus de coordination et plus de communication entre les différents départements ministériels pour des réalisations effectives et efficaces.

Les questions qui se posent sont :

  • deux ministres fraichement nommées ont été écartés, Feriel Ouerghi Sebaî, ministre de l’Économie ainsi que la ministre de l’Éducation nationale, pourquoi ? Jusqu’à quand continuer à mal choisir et à rectifier quelques mois après ? Quel coût économique pour une durée de vie courte de hauts responsables pour le pays ?
  • est-ce que le fait de nommer plusieurs ministres à la tête des départements où ils ont fait carrière, pourrait mettre fin à la léthargie de l’Administration publique et sa résistance au changement ? Est-ce qu’ils pourraient faire redémarrer une machine administrative qui ne fonctionne pas comme le veut le Chef de l’État ?
  • quel impact des changements fréquents des ministres économiques sur l’avancement des grands projets ambitionnés par le pays et en l’occurrence, comment être sûr que ceux qui ont pris la relève continuent sur les traces de leurs prédécesseurs dans la logique de la continuité de l’État et surtout comment rassurer les partenaires de la Tunisie et les investisseurs potentiels ?
  • les profils choisis par le président de la République ont-ils été sélectionnés sur la base d’une stratégie et d’un plan pensés et réfléchi avec pour objectif la relance économique et l’amélioration des conditions de vie des Tunisiens dans la logique d’une croissance économique inclusive et plus juste ?
  • quelle serait la marge de manœuvre des ministres nouvellement nommés ? Auraient-ils pleins pouvoirs pour choisir leurs équipes en toute liberté et être jugés uniquement sur leurs plans d’action et réalisations ?
  • quelle possibilité pour que le président fraîchement élu, y compris Kais Saied lui-même, nomme un nouveau gouvernement dans 8 ou 12 semaines ?

Les raisons qui expliqueraient un remaniement du gouvernement presque total à moins de 6 semaines de la tenue des élections présidentielles, nous paraissent peu convaincantes car comment être sûrs que ce changement soit salutaire et répare les défaillances des nominations et limogeages précédents ?

Tout choix émanant des grands décideurs d’un pays ne peut être jugé que par son résultat. Il faut prier pour un miracle et espérer que ce nouveau gouvernement puisse changer la situation socioéconomique du pays vers le mieux sachant qu’il y a deux postes importants pour l’économie qui ont été maintenus, ceux de la Justice et des Finances. Est-ce-à dire que leur rendu est convaincant par rapport à leurs homologues limogés ?

Prions pour que la Tunisie ne souffre pas des nouveaux choix autant que de ceux qui les ont précédés !

Amel Belhadj Ali