Entre être touriste et être voyageur, il y a une différence de taille, le touriste préfère les voyages organisés sans imprévus et sans surprises. Il voyage en groupe, réside dans des hôtels et préfère les visites guidées aux aventures. Le voyageur est tout le contraire, il aime la découverte, préfère le tourisme culturel, gastronomique, religieux, sportif et adore s’aventurer dans des lieux nouveaux. Il se complaît dans les maisons d’hôtes, aime séjourner dans les gites ruraux et faire des campings. Il adore aller à la découverte du nouveau et fréquenter les habitants des lieux.

Ce sont les touristes voyageurs qui s’intéressent de plus en plus au site Tunisie et qui représentent aujourd’hui pour les professionnels du tourisme une niche de plus en plus importante.

Le point avec Houssem Ben Azouz, président de la Fédération Interprofessionnelle du Tourisme Tunisien

Pourquoi une autre fédération d’agences de voyages alors qu’il y a déjà la FTAV ?

Houssem ben Azouz
Houssem ben Azouz

La Fédération Tunisienne des Agences de Voyage (FTAV) chapeaute les agences de voyage classiques et généralistes si l’on puit dire, nous axons, pour notre part, nos actions sur les nouveaux produits touristiques, c’est pourquoi nous sommes organisés en groupements professionnels spécialisés. Nous avons des groupements dédiés au tourisme culturel, au tourisme de santé et médical, à l’écotourisme, ainsi qu’aux hébergements alternatifs. Chaque groupement a sa propre spécialité.

Il existe également à l’UTICA une chambre dédiée au tourisme médical et de santé, ne pensez-vous pas que par le fait d’intégrer dans votre groupement le tourisme médical, il y a un double emploi ?

Dans notre profession, il n’est pas nécessaire que nous soyons tous regroupés dans une même structure. La chambre du tourisme de santé à l’UTICA est active et bien investie dans sa mission. Défendre une même cause dans différentes structures, n’est pas nécessairement négatif. Bien sûr, nos objectifs communs sont de développer le tourisme de santé, mais il existe des divergences de points de vue, notamment sur des questions importantes.

Par exemple, en ce qui concerne l’organisation du secteur du tourisme médical, nous pensons que c’est aux agences de voyage d’assumer les missions extra-médicales en dehors des cliniques.

L’agence de voyage est, pour nous, la seule entité légalement habilitée à transporter des patients étrangers. Pour nous, c’est une concurrence qui n’est pas vraiment loyale lorsque que d’autres entités, comme les sociétés de services, prennent en charge ces missions.

“Le tourisme durable est une opportunité pour la Tunisie de diversifier son offre touristique et de préserver son patrimoine.”

Les agences de voyage sont soumises à des contraintes strictes. Chaque année, nous payons des assurances pour les litiges, nous avons des directeurs agréés, et notre matériel roulant doit être homologué pour les évacuations. Tout cela est organisé dans l’intérêt du client et est conforme à la législation.

Par exemple, à l’aéroport, si la police constate qu’une personne utilise un véhicule ordinaire pour transporter un client, elle peut infliger une amende pouvant aller jusqu’à 500 dinars. C’est donc une obligation légale. Certes, avec l’évolution des cahiers des charges et la nouvelle approche des autorités de santé, la situation pourrait changer.

Nous avons exprimé notre point de vue aux autorités compétentes, y compris à notre ministère de tutelle. Le secteur du tourisme nous approuve. Nous verrons ce que l’avenir nous réserve, mais pour l’instant, nous maintenant notre position.

Vous parlez de l’importance des structures professionnelles telles que les agences de voyage face aux sociétés de services qui sont tout de même facilement contrôlables et soumises à un suivi rigoureux. Qu’en est-il du circuit parallèle, qui pose effectivement des défis en matière du respect du minimum de garantie dans la prise en charge d’un touriste ou, dans votre cas, d’un voyageur ?

Je suis parfaitement d’accord avec vous. Il est grand temps de réorganiser le secteur touristique dans sa globalité et plus spécifiquement, les nouveaux produits, avec en prime le tourisme alternatif. Il faut que nous sachions qui fait quoi et comment et surtout que toute action se fasse dans le circuit formel. Nous pensons que l’autorité de tutelle est d’accord avec nous et espérons une meilleure gouvernance et moralisation de notre secteur.

Quel est le potentiel du tourisme alternatif ou durable de la Tunisie ?

Notre pays possède des atouts considérables dans ce domaine, notamment sur les plans économique, environnemental, social et culturel. Voici quelques produits qui peuvent faire de la Tunisie une destination importante pour le tourisme durable.

L’Écotourisme : La Tunisie offre des sites naturels préservés, des parcs nationaux, des réserves naturelles et des zones côtières magnifiques. Les amateurs d’écotourisme peuvent explorer ces espaces tout en contribuant à leur conservation.

Le Tourisme d’Aventure : Les montagnes, les déserts du sud et les oasis offrent des opportunités passionnantes pour les activités de plein air telles que les randonnées, le VTT, le trekking et le camping.

Les Maisons d’Hôtes et l’Hébergement Alternatif : Les voyageurs recherchent de plus en plus des expériences authentiques. Les maisons d’hôtes, les gîtes ruraux et les logements chez l’habitant permettent de découvrir la culture locale de manière plus intime.

Le Tourisme médical et de santé : La Tunisie est réputée pour ses soins médicaux de qualité et ses centres de bien-être. Le tourisme médical, associé à des séjours de détente, peut être un créneau prometteur. Les circuits hors des sentiers battus : explorer des régions moins fréquentées, rencontrer les habitants et découvrir des traditions locales peut être très enrichissant pour les voyageurs.

Combien y-a-t-il d’adhérents à votre fédération et quel est le potentiel financier du tourisme durable ?

400 membres, dans leur grande majorité des agences de voyages généralistes et 30 à 50 spécialisés dans le tourisme durable. Ces professionnels investissent dans des services personnalisés et des expériences uniques pour des petits groupes de voyageurs étrangers.

Quant au potentiel financier, le tourisme durable est en plein essor dans le monde entier.

“Les voyageurs d’aujourd’hui recherchent des expériences authentiques et respectueuses de l’environnement.”

En Tunisie, nous devons capitaliser sur nos atouts et proposer des produits de qualité. Les clients individuels recherchent des expériences sur mesure, tandis que les tours opérateurs spécialisés demandent des circuits culturels, de l’écotourisme et des découvertes uniques. Le secteur a un avenir prometteur, et nous devons saisir cette opportunité.

Est-ce que vous avez des données chiffrées pour la Tunisie ?

A l’année, nous avons 15 à 20 000 clients, mais vous savez dans le tourisme durable, ce n’est pas le nombre qui compte, c’est la qualité des prestations et les dépenses que nos clients consentent pour en bénéficier.

“Le développement du tourisme durable nécessite une collaboration étroite entre les acteurs publics et privés.”

Souvent, les petits groupes de 12 ou 15 personnes paient cinq à six fois en comparaison avec le tourisme balnéaire. Il ne s’agit pas du nombre de personnes mais du chiffre d’affaires, de rentabilité et de qualité. J’ai des touristes américains qui font des circuits culturels pour des budgets de 100 à 150 mille dinars par thème, donc c’est la qualité pas le volume.

Quels sont les produits qui peuvent être développés en Tunisie et qui peuvent être attractives pour le tourisme de cette catégorie de clientèles ?

Nous avons le patrimoine culturel, historique, carthaginois, romain, musulmans les monuments, mais nous avons aussi un problème d’image. Nous n’avons jamais développé une stratégie de communication qui va avec la qualité de ces produits très spécifiques dont le tourisme saharien, les randonnées équestres, les randonnées à bicyclette.

Le Sud, le Sud-Est et le Sud-Ouest, sont des régions exotiques et très attractifs pour les Européens. Il y a aussi l’écotourisme. La Tunisie possède des parcs nationaux et des sites naturels magnifiques. A titre d’exemple, il y a le parc naturel d’el Fejja classé par l’Unesco patrimoine mondial, il y a aussi Ichkeul, au sud le parc national de Bouhedma situé dans les gouvernorats de Sidi Bouzid et Gafsa où il y a plus de 500 espèces végétales.

Il y a aussi le produit circuits d’ornithologie lors des périodes de la migration des oiseaux. L’observation des oiseaux pendant ces périodes offre un créneau intéressant. Le Golf et le Tourisme de Sport, bien sûr, la Tunisie possède des terrains de golf de qualité et peut attirer les amateurs de ce sport élitiste.

Le Tourisme Agricole en explorant les fermes, les vignobles et les plantations peut être une expérience enrichissante pour les voyageurs intéressés par l’agriculture durable.

Il y a un éventail diversifié de tourisme durable, mais vous dites qu’au niveau de la promotion et de la communication, il y a des carences. Pourquoi ? Est-ce aux autorités de tutelle d’assumer la mission de la promotion ? Les professionnels ne doivent-ils pas assurer aussi ?

L’ONTT (L’Office National du Tourisme Tunisien) a un problème de budget, elle doit faire face à des contraintes budgétaires, notamment la dévaluation du dinar et la part importante du budget allouée aux salaires. J’estime, pour ma part, que les professionnels du secteur doivent également participer activement à la promotion du tourisme durable.

Une réforme est nécessaire pour optimiser l’utilisation des ressources et renforcer la communication autour de ces produits attractifs.

Qui, d’après vous, parmi les opérateurs qui doit participer au développement du tourisme durable et à sa promotion ?

Aujourd’hui, le budget alloué à la promotion des produits touristiques repose principalement sur les opérateurs du secteur tels que les hôtels et les agences de voyage.

Hors de nombreux autres acteurs bénéficient de l’activité touristique, tels que les loueurs de voitures, les restaurants, les taxis touristiques, les cliniques et l’artisanat. Il est donc logique que tous les bénéficiaires et acteurs du secteur participent au financement du fonds pour la promotion de la destination.

Pour y arriver, une réforme institutionnelle est nécessaire. Elle devrait impliquer une collaboration public-privé pour renforcer le fonds alloué à la promotion et assurer une meilleure coordination entre les différentes institutions.

“Le tourisme alternatif peut contribuer à revitaliser les régions les plus reculées de la Tunisie.”

Il est crucial d’harmoniser les efforts entre l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT) et le ministère de la Culture et de la Préservation du Patrimoine. Cette coordination permettrait de mettre en avant des atouts tels qu’El Jem, Hannibal, Carthage, etc.

En ce qui concerne les professionnels, une structure unifiée représentant tous les acteurs du secteur permettrait de traiter des sujets communs tels que la fiscalité, la TVA, les stratégies de développement et la promotion. Une telle approche favoriserait une meilleure collaboration et une plus grande efficacité.

Que pensez-vous des DMO, développées depuis quelques temps à l’échelle nationale par l’ONTT et des partenaires étrangers ?

Les DMO (Destination Management Organisation) sont un concept intéressant. Ce concept de marketing territorial qui vise à promouvoir chaque territoire et région distinctement peut contribuer à corriger les lacunes des syndicats d’initiatives locaux.

Leur mise en œuvre peut renforcer la gestion et la promotion des destinations touristiques, en mettant l’accent sur la qualité et la durabilité. L’expérience pilote du Dahar est un exemple-phare d’une nouvelle approche de positionnement marketing d’une destination, de nouveaux outils marketing et de gouvernance régionale du tourisme.

Aujourd’hui, nous sommes heureux de voir ce concept englober Djerba, Tunis Carthage.

Les DMO peuvent appuyer efficacement le développement touristique par le territoire. Reste que notre tourisme souffre toujours de carences de taille.

Quelles sont-elles ?

D’abord, un problème de taille : la centralisation excessive et le manque d’implication des acteurs locaux et régionaux peuvent entraver le développement optimal du tourisme. Alors que le secteur est principalement privé (à hauteur de 90 %), il est crucial d’impliquer davantage les professionnels et les collectivités locales dans la prise de décisions.

Le secteur privé, en théorie, devrait être plus dynamique et plus réactif que l’administration. Il est capital que les deux travaillent en harmonie pour maximiser les avantages pour le pays, sécuriser les touristes et leur offrir les meilleurs services qui existent. Il y a aussi la question environnementale, elle suscite nos inquiétudes.

La dégradation de l’environnement peut avoir un impact négatif sur l’attractivité touristique. Il est impératif de sensibiliser davantage les acteurs du secteur, les municipalités et les décideurs sur l’importance de la propreté et de la préservation de notre patrimoine naturel et culturel.

Si la Tunisie parvient à résoudre ces problèmes et à améliorer son image environnementale, le potentiel du tourisme durable est immense. Cela ne signifie pas, bien sûr, pas la disparition du tourisme de masse, mais offre à notre pays, un positionnement stratégique pour attirer les voyageurs intéressés par le tourisme durable dont le nombre est de plus en plus important.

Une destinations comme le Costa Rica a montré qu’il est possible de réussir dans ce créneau en mettant en avant la beauté naturelle, la culture locale et les pratiques respectueuses de l’environnement. En somme, la Tunisie a toutes les cartes en main pour devenir une destination phare du tourisme durable, et j’espère que les réformes nécessaires seront mises en œuvre pour y parvenir.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali