Au mois de mai 2024, le rapport de suivi publié par la Banque mondiale et intitulé “Une énergie renouvelée pour l’économie” prévoyait des taux de croissance moyenne de 2,4 % en 2024 et de 2,3 % en 2025/2026. Ces prévisions supposaient une atténuation des conditions de sècheresse et un progrès dans les réformes budgétaires et celles liées à la concurrence. L’étude a aussi relevé l’amélioration de la balance extérieure et la réduction du déficit commercial bénéficiant de conditions internationales favorables.
Le rapport de la Banque Mondiale souligne également qu’il est crucial de s’attaquer rapidement aux causes profondes des besoins de financements extérieurs dont le pays a toujours grandement besoins, : “comme le déficit énergétique, le service de la dette, et le niveau des investissements étrangers”. Dans l’attente de réformes audacieuses et révolutionnaires, l’amélioration du climat d’affaires et le retour en force de l’investissement, les taux de croissance annoncés à ce jour ne permettent pas de dire que la Tunisie vit une véritable relance économique.
En guise de croissance, l’INS a annoncé au mois d’août 2024, un taux de 1,0 % sur un an au cours du deuxième trimestre de l’année. Chiffres maquillés ? Très probablement non. Hechmi Alaya, économiste de référence pour nombre d’organisations internationales et spécialiste de la chose économique en Tunisie, parle de “jongleries statistiques”.
“Les chiffres du PIB tunisien sont sujets à caution et soulèvent de nombreuses interrogations.”
Car en adoptant des méthodes de calculs différentes, avec les mêmes données, les résultats peuvent varier. En ce qui concerne le taux de croissance annoncé pour le deuxième trimestre 2024, il faut relever que l’évolution a été calculée en glissement annuel et pas en moyenne. “Une évolution en glissement compare une donnée (prix, PIB etc.) entre le début et la fin de la période considérée. L’évolution en moyenne annuelle compare la donnée moyenne d’une période à la donnée moyenne de la période précédente”.
Une croissance toujours atone
Reste que malgré les différentes méthodes de calcul, la croissance de l’économie tunisienne n’a pas dépassé les 0,6% au cours du premier semestre 2024 et que le PIB n’a pas encore retrouvé son niveau de 2019 avant la pandémie COVID 19.
La croissance est toujours atone !
Jongleries statistiques, c’est ainsi que Hechmi Alaya explique les chiffres annoncés récemment par l’INS. Il s’agit selon lui, d’un traitement opportuniste des statistiques du PIB tunisien. “Pour aboutir à ces taux de croissance, l’INS a dû réviser à la baisse tous les chiffres du PIB tunisien afférents aux années 2021 à début 2024. Il a dû amputer de près d’un milliard de dinars réels (988,4 milliards de dinars constants de 2015) la valeur des richesses produites par la Tunisie depuis l’année 2021″.
“En révisant à la baisse le PIB du premier trimestre 2024 de près de 198 millions de dinars, l’INS transforme une décroissance trimestrielle de -0,7% en une croissance de +0,2%. En amputant le PIB du second trimestre de l’an dernier de près de 105,5 millions de dinars, il parvient avec les nouveaux chiffres de PIB, à une croissance de +1,0% contre +0,5% avec les anciens chiffres. Une croissance mesquine et foireuse. Mesquine en ce sens que près de quatre ans après la pandémie Covid, le Tunisien n’a toujours pas retrouvé son niveau de vie de l’année 2019”.
“La croissance économique tunisienne est atone et les chiffres officiels ne reflètent pas la réalité vécue par les Tunisiens.”
La révision à la baisse entreprise par l’INS, estime un expert financier qui préfère taire son nom, a permis de déterminer le taux de croissance en fixant un chiffre X sans mettre en avant la règle selon laquelle, pour des raisons précises, l’INS peut ajuster vers la baisse ou vers la hausse les PIB des années concernées.
Sachant que les normes existant en matière de comptabilité, sont unanimement d’accord sur le fait que lorsqu’on ajuste des montants et on procède à la correction d’erreurs antérieures, il faut présenter ce qu’on appelle le pro forma, c’est-à-dire ce qu’aurait été l’indicateur qu’il s’agisse de croissance, d’inflation ou de taux de chômage si on n’avait pas procédé à l’ajustement. Ceci par analogie à ce qui se passe au niveau du système comptable des entreprises.
Les comptes pro forma sont essentiellement requis en raison des changements de périmètre que connaissent régulièrement les groupes de sociétés : ils permettent une comparaison des comptes lorsque celle-ci est compromise par les changements de structure du groupe. Ils servent essentiellement aux analystes et investisseurs.
“Les citoyens ont le droit de connaître la vérité sur la situation économique de leur pays.”
Ils favorisent l’étude des performances à venir du groupe (ventes, résultats, rentabilité) et, dans une moindre mesure, l’appréciation de sa structure financière et de ses risques.*
Par conséquent, l’INS aurait dû tout d’abord préciser ou aviser que les PIB des années précédentes ont été révisés, ce que le simple des mortels n’aurait pas pu savoir sans les analyses pertinentes et percutantes de Hechmi Alaya.
L’INS aurait dû, par respect pour les utilisateurs dire ce qu’aurait pu être le taux de croissance et le PIB si on n’avait pas procédé à l’ajustement sachant que le PIB est une mesure de la production d’une économie adossée à un système d’informations performant qui donne une vision juste de l’état d’une économie.
Cela étant, comment peut-on réviser les données budgétaires après approbation finale et adoption d’une loi de clôture de budget, ce qui a été le cas pour l’année 2021 ?
A l’extrême limite, nous pouvons ajuster le T3 ou T4 2023 mais, selon nombre d’experts, remonter à 2021 pour effectuer des corrections relève du non-sens.
Un inconnu a dit : “Les chiffres sont comme les gens, si on les torture assez, on peut leur faire dire n’importe quoi”.
Serait-ce le cas dans notre pays ?
Amel Belhadj Ali
https://shs.cairn.info/revue-comptabilite-controle-audit-2010-3-page-41?lang=fr !