Haithem Bouajila, président de la FTTH : Le cadre pour la création d’une entreprise est bloquant, obsolète et consommé

Haitham Bouajila
Haitham Bouajila – Président de la FTTH

Le textile a été le catalyseur de l’industrialisation par le monde, c’est aussi le troisième plus grand pollueur succédant à l’agriculture et au transport, d’où l’importance aujourd’hui de muer vers une industrie moins polluante et plus soucieuse de l’environnement. « Nous sommes en train de mettre en place des stratégies pour réduire l’impact de l’industrie textile sur la nature, nous pourrions faire mieux en travaillant plus étroitement avec les pouvoirs publics », assure Haithem Bouajila, président de la FTTH.

A quels nouveaux défis sont confrontés les industriels du textile et pourquoi muer vers une industrie propre est important pour l’avenir du secteur ?

Haithem Bouajila y réponds dans la deuxième partie de l’entretien :

Réduire l’empreinte carbone est aujourd’hui un devoir pour les entreprises socialement responsables et soucieuses de minimiser leurs impacts écologiques et sociaux, cela permet aussi de renforcer leur compétitivité et de leur donner des avantages à l’export. Que fait la FTTH pour généraliser les bonnes pratiques pour la protection de l’environnement ?

Il faut tout d’abord savoir que le mécanisme de contrôle des frontières ne concerne pas le textile pour le moment. Il n’empêche, nous y sommes bien préparés. Notre engagement dans la préservation de l’environnement ne date pas d’aujourd’hui. Nous sommes dans cette dynamique depuis près de 10 ans.

Nous pouvons nous enorgueillir d’avoir des cas d’école dans le recyclage des eaux, la régénération, la production d’énergie photovoltaïque et l’efficience énergétique. Nous avons aussi des cas d’école dans l’économie circulaire.

Ce qui nous manque ? Si le cadre réglementaire et juridique venait à être simplifié et fluidifié, si l’Etat s’engage plus dans l’accompagnement des entreprises pour améliorer leurs performances écologiques, leurs performances dans l’efficience énergétique, leurs performances dans la gestion des déchets et leurs performances pour une certification globale, une démarche écologique et la transition verte, dans 5-6 ou 7 années, nous pourrons accomplir un score incroyable.

Vous avez cité la fédération, aujourd’hui nous avons mis en place un projet : « Tunisia textile Green transition ». C’est un projet bouclé, des experts y travaillent et accompagnent les entreprises dans leur transition énergétique et écologique.

En tant que fédération, nous avons l’avantage d’avoir des exemples inédits et inspirants dans tout ce qui se rapporte à l’électricité, l’eau, l’énergie propre, l’efficience, la gestion des déchets ou la circularité. Les entreprises se partagent les bonnes pratiques grâce aux experts et consultants. Nous les aidons pour les certifications et la maitrise des process.

Notre objectif est d’avancer considérablement dans notre transition écologique d’ici 2030.
Notre projet est publié sur notre site web, il est ambitieux pour une fédération sectorielle. Je pense que nous sommes les premiers à avoir du concret.

Vous avez cité la fédération, aujourd’hui nous avons mis en place un projet : « Tunisia textile Green transition ». C’est un projet bouclé, des experts y travaillent et accompagnent les entreprises dans leur transition énergétique et écologique.

Qu’en est-il du textile local ?

La partie locale de notre secteur textile habillement souffre de difficultés causées par la concurrence du marché parallèle où les acteurs ne sont soumis à aucune charge sociale et ne s’acquittent d’aucun devoir fiscal. Ils évoluent dans des marchés irréguliers non respectueux des normes en vigueur.

Depuis les années 2000, ces gens-là investissent les grandes places du pays, vendent leurs marchandises mais ne paient pas de droits de douane, ne sont pas soumis au test sanitaire et au test de sécurité nécessaire. C’est l’illustration parfaite d’une concurrence déloyale où une partie est soumise à toutes les contraintes légales et administratives et une autre bénéficie de la liberté d’être et d’agir sans aucun souci.

Nous militons en tant que fédération pour encourager les producteurs et industriels qui travaillent sur le marché local et les protéger contre l’importation sauvage, les différents trafics et l’usage de faux

Cela dit, nous avons des enseignes très respectables qui se défendent bien telles MABROUK, SASIO, BLUE ILAND, HA et ZEN. Elles sont capables d’exceller, sont bien positionnées sur le marché local et il y en a parmi elles qui exportent en Afrique.

Nous militons en tant que fédération pour encourager les producteurs et industriels qui travaillent sur le marché local et les protéger contre l’importation sauvage, les différents trafics et l’usage de faux, nous appelons notre Etat à faire de même. Il est temps de mettre un terme aux circuits hors normes, à la contrebande qui porte un grand tort à l’économie nationale et aux sous déclarations de valeur et là je parle aussi du formel où il y a une sous déclaration des valeurs.

Qu’est ce qui entrave un développement plus important du secteur textile en Tunisie ? Le traitement fiscal ? L’accompagnement ?

Je dirais qu’il y a une double responsabilité. Une qui incombe au privé et liée à l’audace entrepreneurial, à la vitesse de l’adaptation au changement et aux mutations sur le marché, qu’il s’agisse de mutations économiques ou technologique, à la volonté d’investir et la foi que nous devons avoir en nos ressources humaines.

Pour développer une industrie qu’il s’agisse du textile ou autre, l’engagement public, celui du gouvernement, de l’administration, l’engagement de l’Etat est capital.

Nous voulons des entrepreneurs plus audacieux, plus modernes, plus smart qui font confiance aux jeunes ingénieurs, aux jeunes cadres, aux jeunes universitaires et aux jeunes techniciens et techniciennes qui sont des acteurs clés dans le développement de l’entreprise. Réussir ces gageures représente un important défi pour nous autres businessmen.

Vous estimez que certains opérateurs du secteur ne veulent pas sortir de leur zone de confort et s’y complaisent ?

Absolument ! J’invite ces opérateurs à regarder un peu dans le rétroviseur, s’informer sur ce qui ce qui se passe ailleurs et revoir la gouvernance de leurs entreprises, leurs stratégies et surtout décider de ce qu’ils veulent être dans 5-10 ans ou 15 ans. Il y a le côté entrepreneurial et le côté mindset entrepreneurial sur lequel il faut beaucoup travailler et c’est ce que nous faisons à la fédération, nous consacrons beaucoup de temps aux sujets se rapportant au développement de l’entreprise, échanges de bonnes pratiques et récits sur les success story.

Vous avez parlé d’une double responsabilité, qu’en est-il de celle des pouvoirs publics ?

Pour développer une industrie qu’il s’agisse du textile ou autre, l’engagement public, celui du gouvernement, de l’administration, l’engagement de l’Etat est capital.

En quoi consiste cet engagement ? Il ne s’agit pas de financement, nous sommes conscients que l’Etat en est dénué. Le principal problème se rapporte aux schémas de financement, aux mécanismes de financement orientés vers les entreprises d’une manière générale.

Le coût du financement, le taux d’intérêt astronomique, le cadre réglementaire et juridique qui régit la vie de l’entreprise au quotidien. Celui pour la création de l’entreprise est bloquant, obsolète et consommé. Il met en place plus la notion de blocage que celle de l’assistance, de l’encouragement, de l’amélioration.

Pourquoi ? Dans un pays européen, un pays développé industriellement, on observe les lois, il y en a qui sont similaires aux lois tunisiennes et on se dit comment se fait-il que les choses sont différentes, comment font-ils pour privilégier la philosophie de l’accompagnement et de l’amélioration alors que chez nous, c’est la croix et la bannière pour créer une entreprise.

Il faut changer l’état d’esprit de l’administration. Il faut lui injecter une bonne dose de compréhension pour qu’elle assimile le fait qu’en assistant un entrepreneur, elle crée de la richesse, de l’emploi et de la croissance.

J’ai visité des usines en Toscane (Italie), au mois de juin et coté protection civile et règlement de sécurité, nous souffrons des mêmes difficultés qu’en Tunisie, j’ai demandé, vous n’êtes pas dotés de skydome et de désenfumage, ils m’ont répondu : bien sûr que si, nous allons soumettre le projet aux services de protection civile et nous allons l’appliquer département par département.

En Tunisie, on n’est pas aussi compréhensif que cela. Le cadre réglementaire complique tout. Une usine qui existe depuis 15-20 ou 30 ans, n’est pas munie de nouvelles technologies en matière de sécurité et au lieu de l’aider à s’en doter, elle subit la coercition légale. Ce qui fait que lorsqu’un étranger avec lequel vous êtes susceptible d’avoir un partenariat fait un audit, il vous dit : vous n’êtes pas en adéquation avec la loi tunisienne donc je ne travaille plus avec vous, vous êtes classé rouge, c’est aussi simple que cela !!!

Que faire dans pareil cas ?

Il faut changer l’état d’esprit de l’administration. Il faut lui injecter une bonne dose de compréhension pour qu’elle assimile le fait qu’en assistant un entrepreneur, elle crée de la richesse, de l’emploi et de la croissance.

Il faut que les décideurs publics comprennent que l’accompagnement d’une entreprise avec des plans d’action correctifs sur cinq ans ou sur sept ans est utile à l’économie nationale à condition, bien entendu, qu’elle respecte ses engagements.

Les rapports entre l’entreprise et l’Administration doivent être basés sur la confiance et l’entraide et ne pas consister pour l’un à mettre des bâtons dans les roues et l’autre à contourner les lois.

Des exemples plus concrets sur « les bâtons dans les roues » ?

Aujourd’hui vous êtes quelqu’un qui veut monter une boîte dans la mécanique, le textile, le tissage, le tricotage, la teinture ou le finissage. Pour vous installer en Tunisie, vous avez besoin bien d’un local, dans notre pays, la majorité écrasante des locaux ne répondent pas aux normes de protection civil et de sécurité.

Les nouvelles normes, pour précision, ont été mises à jour et changées en 2018. Les locaux, d’ores et déjà construits, n’ont pas bénéficié de délais de régularisation, d’un accompagnement pour la mise à niveau ou d’une aide pour se remettre à l’ordre des nouvelles réglementations.

il y a l’accès aux financements, la réglementation et les formalités administratives souples et aisées pour ouvrir une entreprise industrielle qui font défaut

On pénalise des PME qui ont des chiffres d’affaires dérisoires et on leur impose un règlement de sécurité les obligeant à réaliser des changements radicaux et profonds dans la construction où ils s’adonnent à leurs activités économiques, ce n’est pas donné financièrement pour des PME qui viennent de démarrer leurs activités.

Pour résumer, il y a l’accès aux financements, la réglementation et les formalités administratives souples et aisées pour ouvrir une entreprise industrielle qui font défaut chez nous et bloquent l’investissement et des activités qui peuvent créer des emplois et de la croissance pour notre pays.

Comment évaluez-vous le cadre fiscal ?

Tout ce que nous espérons est que ce cadre n’empire pas. Quand le cadre fiscal est imprévisible, on ne peut pas avoir de visibilité. Quand chaque année, chaque deux ans, vous avez de nouvelles lois, de nouvelles taxes qui n’étaient pas prévus dans le business plan, dans le modèle économique, dans le modèle de gouvernance, ça perturbe et ça gêne dans la gestion d’une entreprise, et inquiète les investisseurs étrangers ou nationaux parce que pour investir, il faut un cadre fiscal stable.

Cela, ajouté aux contributions spécifiques exceptionnelles, 3 % ou 1 % qui d’exceptionnelles peuvent devenir durables ce qui complique encore plus une situation complexe.

Quelles sont les perspectives du textile ?

Je suis optimiste et j’ai beaucoup d’espoir. J’ai toujours cru que la Tunisie est un terrain fertile pour les affaires et offre beaucoup d’opportunités pour l’entrepreneuriat.

Il faut juste rétablir le climat de confiance entre les parties concernées, public privé. Nous souhaitons un véritable partenariat public privé, un véritable dialogue.

C’est toujours constructif, je dirais même cela doit partir d’un sentiment patriotique qui vise à œuvrer plus efficacement et plus profondément pour la croissance économique et l’emploi de qualité.

Et le ministère de l’Industrie dans tout cela ?

Nous n’arrêtons pas d’en parler et ce depuis de nombreuses années. Je suis actif dans la fédération depuis 8 ans, et dans le secteur textile depuis de longues années.

J’ai toujours eu des contacts avec le ministère, concernant certains blocages, les autorisations etc. Ils sont à l’écoute mais rien de concret. Rien n’a été changé.

Ils nous disent toujours qu’il y a des projets de changement, des orientations de changement mais c’est long, long, long à mettre en place.

Jusqu’à quand devrons-nous attendre le changement alors que le monde, lui, évolue à la vitesse de la lumière ?

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali