Les médias ont promptement publié, lundi 16 septembre 2024, l’information concernant la progression de la notation par Fitch Ratings de “CCC” à “CCC+” et relative au défaut émetteur en devises étrangères à long terme (IDR) de la Tunisie. Il faut dire que le pays est assoiffé de bonnes nouvelles.

Toutefois, une petite précision pour ceux qui ne le savent pas, la mission principale des agences de notation est d’évaluer les capacités des États à rembourser leurs dettes. Donc du moment que les engagements extérieurs sont respectés, Fitch Rating améliore le score et dans ce cas précis, nous ne sommes mêmes pas passés d’une catégorie à une autre, nous sommes toujours classés CCC.

“La Tunisie a honoré ses engagements à l’international, oui mais à quel prix ? Au prix de la réduction de l’importation des produits semi finis nécessaires à certaines industries et métiers et matières premières soit -5,3% ce qui représente 34% du total des importations et impactant l’approvisionnement du marché national par de nombreux produits de consommation courante. Le prix est aussi l’augmentation des prêts contractés à l’international à des taux élevés. Alors qu’il aurait été plus profitable au pays d’entreprendre les politiques nécessaires à l’amorce d’une relance économique et à la création d’une croissance lui donnant les moyens de s’acquitter de ses dettes sans mettre à mal l’économie nationale” a déclaré un expert financier.

Un certain pragmatisme économique nous invite à modérer notre enthousiasme car si Fitch Rating explique la mise à niveau de la notation par “une confiance accrue dans la capacité du gouvernement à répondre à ses importants besoins de financement budgétaire et une position extérieure plus forte de la Tunisie, qui lui permet de maintenir ses réserves internationales à un niveau suffisant pour répondre aux paiements extérieurs et aux obligations de la dette actuelle”.

“La Tunisie a honoré ses engagements, mais au prix de sacrifices qui pèsent sur l’économie réelle.”

Elle rappelle aussi “les besoins de financement toujours élevés du pays, un accès limité au financement extérieur, une incertitude quant à la capacité et à la volonté du secteur bancaire de prendre en charge de gros volumes de dette intérieure et un budget qui reste vulnérable aux chocs extérieurs”.

Fitch Rating prévoit des réserves en devises supérieures aux besoins de trois mois de paiements extérieurs courants jusqu’en 2026 ce qui devrait permettre à la Tunisie de continuer à honorer ses obligations de dette extérieure, soutenue par des flux entrants de financement extérieur, malgré l’absence d’un programme du FMI.  Cela dit, la Tunisie a une euro-obligation de 1 milliard USD arrivant à échéance en janvier 2025 et une euro-obligation de 700 millions EUR arrivant à échéance en juillet 2026.

Fitch annonce aussi des besoins de financement budgétaire, hors amortissements à court terme, de 18 % du PIB au terme de 2024 et qui se maintiendront au-dessus de 14 % du PIB en 2025-2026. “Les besoins de financement élevés découlent de déficits budgétaires persistants et de maturités élevées de la dette intérieure et extérieure à long terme, qui représentaient environ 11 % du PIB en 2024” relèvent les experts de l’agence.

“La croissance économique, seul remède durable à la dette tunisienne, semble encore hors de portée.”

Pour rappel, en 2024, la BCT a injecté dans le budget de l’État 7 milliards TND (4,3 % du PIB) dont une partie a permis de rembourser une obligation de 850 millions EUR (2,9 milliards TND) arrivée à échéance en février 2024. Fitch prévient quant aux risques de nouveaux financements monétaires directs supplémentaire sur la discipline budgétaire, la monnaie et la stabilité des prix.

S’agissant des besoins de financement souverain, l’agence de notation estime que le secteur bancaire local pourrait aider à y répondre car “la croissance des dépôts et la faible demande de crédit soutiennent la liquidité du secteur. Néanmoins, cela augmentera l’exposition des banques au secteur public, qui représente déjà près de 20 % des actifs totaux du secteur bancaire, nécessitant un refinancement des banques locales par la banque centrale”.

Conséquence : les banques publiques supporteront une plus grande part du fardeau de financement en raison de la prudence de certaines banques privées.

La dette publique sera selon Fitch Rating de 83,4 % du PIB en 2024, 82,2 % en 2025 et de 80,8 % en 2026.

“Derrière l’amélioration de la note, se cachent des fragilités qui pourraient compromettre l’avenir du pays.”

“La trajectoire de la dette est très sensible à la dépréciation de la monnaie et aux chocs budgétaires en raison de la forte vulnérabilité à la volatilité des prix des matières premières internationales. Une gestion et une réglementation strictes du marché des changes et des réserves internationales résilientes ont maintenu le taux de change stable en 2022-2024. Cette stabilité devrait se poursuivre, mais des risques peuvent survenir en raison d’un financement extérieur plus faible et d’un financement monétaire du déficit. Une dépréciation plus forte augmenterait la dette/PIB, compte tenu de la part élevée de la dette en devises étrangères, mais une part élevée de la dette du secteur officiel a des conditions de financement favorables”.

Le seul recours de l’État tunisien pour réduire la dette publique est la croissance économique. La question est : quelles chances a, aujourd’hui, la Tunisie de voir un projet efficient de relance économique via des investissements publics et privés voir le jour ?

Croisons les doigts, prions et espérons.

Amel Belhadj Ali

Source : Rapport Fitch Rating