EuropeSelon l’universitaire et expert économique Jamel Aouididi les européens ne se sont jamais démarqués de leurs origines coloniales , relevant que l’ensemble des accords de partenariat conclus, jusqu’ici, par ce groupement régional avec les pays du sud de la méditerranée et de l’Afrique ont des relents colonialistes.

L’expert, qui s’exprimait dans le cadre de l’université d’été 2024 de la Fondation Mohamed Ali Hammi (FMAH) placée cette année sur le thème “comment se positionner dans un monde en pleines mutations? propositions d’alternatives citoyennes”, traitait du bilan des relations Tunisie -Union européenne (UE) et de ses impacts multiformes.

A l’origine les traités de Rome

Se référant à l’ouvrage “Eurafrique aux origines coloniales de l’Union européenne” de Peo Hansen et Stefan Jonsson de l’université de stockholm (Suède) , l’expert a fait remarquer que la vocation coloniale des européens remonte au 25 mars 1957, date de la signature des Traités de Rome. Ces traités sont considérés comme l’acte de naissance de la grande famille européenne. Le premier de ces Traités donne le jour à une Communauté économique européenne (CEE), tandis que le second crée une Communauté Européenne de l’Énergie Atomique, mieux connue sous le nom d’EURATOM.

L’acte de naissance de l’Union européenne, la Convention Constitutive, porte en elle les traces d’un passé colonial complexe. Selon l’historien Jamed Aouididi, un élément particulièrement révélateur est la proposition française d’inclure les anciennes colonies des pays européens dans le projet européen, et ce, dès les premières discussions.

« L’acte de naissance de l’Union européenne porte en elle les traces d’un passé colonial complexe. » – Jamel Aouididi

Cette proposition, formulée alors que de nombreuses colonies étaient en pleine lutte pour leur indépendance, comme l’Algérie, soulève de nombreuses questions sur les motivations réelles des États européens. La France, par exemple, a suggéré d’intégrer les pays de la zone franc, un système monétaire et financier qu’elle avait mis en place en Afrique. L’Italie, quant à elle, a évoqué la Libye et la Somalie, tandis que la Belgique et les Pays-Bas ont respectivement mentionné le Congo et leurs colonies d’Asie du Sud-Est.

Ces propositions témoignent d’une volonté de maintenir une certaine influence sur les anciennes colonies, même après leur indépendance. Elles révèlent également une conception de l’Europe comme un espace d’expansion économique et politique, où les anciennes puissances coloniales pourraient continuer à jouer un rôle prépondérant.

Morale de l’histoire, cette convention fait état d’une vision stratégique de ce que sera la Communauté européenne sur le long terme. En vertu de cette vision, les européens estiment indispensables pour leur survie de continuer à dominer sous d’autres formes, les pays du sud et est de la méditerranée, de l’Afrique subsaharienne et de l’est asiatique.

Ultime objectif, s’appuyer sur les anciennes colonies en tant que débouchés pour leurs produits et de fournisseurs de matières premières pour s’imposer en tant que puissance régionale dans l’échiquier mondial dominé à l’époque par les deux blocs : les Etats Unis et l’Union soviétique.

« Si nous voulons nous reconstruire, il nous faut de toute urgence un “espace vital” – si vous me permettez l’expression – d’une échelle plus grande que celle des vieilles nations soi-disant autonomes », écrivait en 1947 Hendrik Brugmans, le dirigeant néerlandais de l’Union des fédéralistes européens. À travers cette citation, surprenante sous la plume d’un ancien résistant à l’occupation nazie, Peo Hansen et Stefan Jonsson mettent en évidence ce qu’ils nomment les « origines coloniales » de la construction européenne, ainsi que le concept à leur sens central d’« Eurafrique »

Tunisie- UE: deux périodes et deux politiques

Concernant la Tunisie, l’universitaire Jamel Aouididi distingue deux ripostes historiques. La première remonte au lendemain de l’accès du pays à l’indépendance. C’est une réaction que l’expert qualifie de patriotique et de positive. Il s’agit des décisions majeures prises par les dirigeants de l’époque pour consacrer la rupture avec l’ancien pays colonisateur et déjouer dès le départ ses nouvelles visées colonialistes.

Au nombre de ces décisions, il a cité la promulgation, en 1958, de la loi relative à la réforme monétaire avec comme corollaires la création de la Banque centrale de Tunisie et la création d’une monnaie nationale, le Dinar.

La deuxième période que l’universitaire estime négative pour la Tunisie remonte à 1995, date de l’adhésion de la Tunisie à l’Organisation mondiale de commerce (OMC) et de la conclusion de l’accord de libre échange des produits manufacturés avec l’Union européenne.

« Si nous voulons nous reconstruire, il nous faut de toute urgence un “espace vital” – si vous me permettez l’expression – d’une échelle plus grande que celle des vieilles nations soi-disant autonomes. » – Hendrik Brugmans

L’universitaire a mis en exergue l’effort fourni par le pouvoir de l’époque pour réunir toutes les conditions de succès à ces accords qui étaient pourtant asymétriques aux dépens de la Tunisie. A titre indicatif, il a évoqué la nomination d’un ministre, pendant une dizaine d’années pour veiller à la bonne application de cet accord. Il s’agissait à l’époque de Mondher ZenaidI.

Jamel Aouididi devait attirer l’attention sur deux caractéristiques de l’accord d’association entre la Tunisie et l’Union européenne. Le premier consiste en sa traduction dans les langues des 27 pays membres de l’Union et jamais dans la langue arabe langue officielle de la Tunisie.

Le second porte sur les ambitions illimitées de cet accord en ce sens où il prévoit une extension à pratiquement tous les secteurs : agriculture, pêche, services, formation, enseignement, protection des investissements…

L’accord projette également d’harmoniser les législations, notamment celles concernant le statut de la femme, l’héritage, l’homosexualité, les services financiers, la déréglementation du transport aérien (open sky), TIC, énergie,

Cela pour dire au final qu’au regard de ces visées néocolonialistes, on ne peut s’interdire de penser que “la dimension géopolitique et impériale du projet européen a été largement sous-évaluée”.

ABOU SARRA