Akram GHARBIL’Agence Fitch a rehaussé la notation souveraine de la Tunisie. Le pays se met à l’abri d’un crash financier imminent, soutient Akram Gharbi. La remontada ?

Entretien avec Akram GHARBI, Responsable Investissement Crédit, Chez Crédit Mutuel Asset Management.

Fitche relève la notation de la Tunisie de CCC- à CCC+ sans lui faire quitter la catégorie spéculative. Quelle est votre lecture des faits ?

Il y a lieu de s’en féliciter car Il s’agit d’un Up Grading, de 2 crans de notation, chose peu fréquente. En passant de CCC- à CCC+ on inclut l’échelon CCC. Néanmoins on reste dans la catégorie spéculative. Je parlerai d’une amorce de rétablissement financier. En effet ce rehaussement de notation signifie que le pays s’éloigne du risque majeur d’un défaut imminent. Il se trouve que dans cette catégorie l’Agence n’émet pas de perspective mais le rapport d’accompagnement laisse croire à une appréciation positive.

Sur quels éléments précis, l’agence a-t-elle adossé le rehaussement de notation ?

Le rapport de l’agence Fitch évoque trois éléments pertinents. Il cite que le pays a amélioré son solde extérieur. Par ailleurs il table sur un rebond de croissance avec 1,7% en 2025 et 1,8% en 2026. Outre que le pays a reçu 2,8 milliards de dollars US en 2024, dans le cadre de l’aide bilatérale ; et il est prévu qu’il reçoit un complément de 600 millions de dollars US d’ici la fin de l’année en cours, sans en préciser l’origine. Cela conforte la décision de l’Agence.

Le rehaussement de la notation a-t-il été bien accueilli par les marchés ? Est-ce que les CDS de la dette tunisienne ont baissé ?

Rappelons que les CDS, expriment le taux de prime d’assurance contre le défaut de paiement d’un émetteur. A la suite du rehaussement de notation,  les CDS de la dette tunisienne sont passés de 11 à 10%.

“Selon Akram Gharbi, cette amélioration de la notation est une ‘amorce de rétablissement financier’ pour la Tunisie.”

En soi c’est un tout petit bonus. En réalité les marchés se voient confirmer dans leur opinion. L’agenda financier de la Tunisie prévoit la tombée d’une obligation d’un montant d’un milliard de dollars US en janvier 2025. Ainsi qu’une autre de 600 millions d’euros en juillet 2026. Et les marchés ont la quasi-certitude au vu de l’évolution du solde extérieur du pays que les deux échéances seront honorées. De ce fait les CDS tunisiennes sont de 20 % à échéance d’un an et demi et de 30% à 2 ans et demi.

C’est somme toute soutenable et il n’y a pas d’effet de panique sur les marchés quant au bon dénouement des deux tombées en vue. Ajouter à cela que la Tunisie est en passe d’améliorer ses finances publiques avec la détente des marchés de matières premières.

Si en 2024 le pays affecte 95% de son PIB au règlement des salaires ainsi que des subventions et enfin du service de la dette, Fitch prévoit que cette proportion refluerait à 86% en 2026. Cela ne manquerait pas de soulager les finances publiques du pays.

Est-il plausible de voir les Agences Moody’s et Standard & Poor’s s’aligner sur la position de Fitch ?

A ma connaissance la Tunisie n’est pas notée par l’Agence S&P mais seulement par Moody’s. D’ailleurs la notation de Moody’s est  de caa2. Elle est un cran en-dessous de la nouvelle notation de Fitch. Je ne peux anticiper une réaction de Moody’s. Cependant si la Tunisie confirme sa reprise avec une baisse de l’inflation, le changement de perspective de stable à positive me semble tout à fait à portée.

Tout en étant en appel de croissance la solvabilité du pays est résiliente. Comment envisager le retour du pays sur le marché de la dette ?

Il faut, de mon point de vue attendre le dénouement des élections présidentielles et connaitre la nature des résolutions économiques qui suivront. Tout porte à croire qu’à l’instar de la Turquie et de l’Egypte, qui sont passés par une phase similaire à la phase actuelle que traverse la Tunisie, le pays saura engager les réformes nécessaires.

“Le rapport de Fitch met en avant l’amélioration du solde extérieur et les perspectives de croissance de la Tunisie comme principaux facteurs de ce rehaussement.”

Cela aura pour effet, d’implémenter les mesures du FMI et d’atténuer ses conditionnalités. Et d’ailleurs l’opinion sera plus réceptive. Et les choses, suivront leur cours et le pays pourra acter son retour sur le marché de la dette internationale.

Le pays a fait des émissions, de maturité de deux ans en moyenne, sur le marché interbancaire de devises sur la place de Tunis. Cette solution est-elle durable et peut-elle germer une place financière internationale ?

Il s’agit, à mon avis, d’une solution temporaire, une manière de repousser l’échéance de la dette. De plus, si les fonds issus des émissions ne sont pas utilisés pour rembourser cette dette, cela risque d’aggraver l’inflation. Ce n’est donc pas une solution optimale.

“Les marchés ont réagi positivement à cette nouvelle, mais les défis restent nombreux pour la Tunisie.”

Les banques peuvent recycler l’émission auprès de particuliers mais cela reste, en soi, une échappatoire. L’opération s’inscrit dans un environnement domestique restreint, à l’intérieur du système bancaire national. Peut-elle demain déboucher sur la promotion d’une place financière internationale, je réserve ma réponse car cela ne répond pas au standard d’une place internationale.

Entretien conduit par Ali DRISS