L’arrestation, il y a quelques jours de la secrétaire générale de la Commission Tunisienne des Analyses Financières (CTAF), a soulevé un tollé sur la place publique.  Cette arrestation ne doit pas passer inaperçue d’autant plus que ce haut cadre de la BCT nommée à la CTAF a été ensuite relaxée.

Pourquoi la secrétaire générale a été mise en détention ? Quels sont les chefs d’accusation ? Les questions que nous avons essayé de poser à des sources à la BCT n’ont pas trouvé réponse. Il va falloir attendre la levée du secret de l’instruction pour comprendre les raisons profondes qui ont convaincu la brigade et le pôle judiciaire de procéder à une opération de descente dans une institution indépendante et la justification d’une telle décision dont l’impact sur l’image de la BCT qui abrite la CTAF ne sera pas des plus positifs.

Il faut reconnaître que la CTAF est visée depuis quelques mois par des critiques acerbes faisant douter de sa “volonté” à lutter réellement contre les délits financiers et en prime, le blanchiment d’argent ainsi que les transferts de fonds allant vers des associations ou des activistes politiques ainsi que l’évasion fiscale.

Pour ceux qui pensent que la commission est en train de geler de lourds dossiers de délits financiers, il faut savoir que la CTAF ne dispose ni du pouvoir de l’autosaisine et ni de police judiciaire. Il revient à sa cellule opérationnelle de traiter les déclarations de soupçon et infractions et en cas de confirmation du soupçon, les conclusions sont remises aux autorités judiciaires et aux autorités compétentes qui doivent agir en prenant les mesures qui s’imposent.

La CTAF n’agit pas de son propre chef mais engage des investigations après avoir reçu des déclarations de soupçons (DS) de différents acteurs socioéconomiques, qu’il s’agisse des banques, des experts comptables, des agents immobiliers, des bijoutiers et ainsi de suite et opère dans le cadre de ce que lui autorise la loi sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme promulguée en 2015.

Pour rappel, le nombre de DS reçues en 2023 s’est établi à 804 contre 529 en 2022, soit une hausse de 51,9% qui s’explique, principalement par la réception d’un nombre important de déclarations de soupçon ayant pour objet des cas de traite des personnes et de trafic de migrants.

Les DS reçues en 2023 ont été émises par des banques (750), établissements de leasing (21), compagnies d’assurance (14), intermédiaires en bourse (9), microfinance (1), Avocats (1) et autorités de supervision (4). Les déclarations reçues par la CTAF concernent dans leur grande majorité le blanchiment d’argent (96,22%) et le financement du terrorisme (3,78%).

En 2023, la Cellule Opérationnelle a traité 582 DS, contre 520 DS en 2022, soit une progression de 11% et comme l’article 127 de la loi organique n°2015-26 du 7 août 2015, permet à la CTATF de procéder au gel des avoirs, en 2023, la commission a gelé 22.228.997 TND contre 15.877.681 TND en 2022 soit des montants composés à hauteur de 76,71% de dinars et à hauteur de 23,29% de devises.

83% des avoirs gelés sont associés à des soupçons de blanchiment d’argent et 17% à des soupçons de financement de terrorisme.

La CTAF reçoit aussi des requêtes de l’international

La CTAF agit aussi dans le cadre de la coopération internationale. En 2023 elle a émis 100 demandes de collaboration de la part de ses homologues internationaux (Les requêtes des partenaires étrangers ont baissé de 70 à 31 demandes).

Pour étudier les dossiers importants, une commission siège à la CTAF où sont représentés les ministères de la Justice, de l’Intérieur, des Finances, le Conseil du Marché financier, la direction générale des Douanes, le comité général des Assurances et l’Office national des Postes.

Les questions qui se posent après la présentation succincte des réalisations de la CTAF en 2023 et de ses attributions :

  • Les dossiers étudiés par la CTAF sont-ils examinés uniquement par l’équipe des investigateurs CTAF ou soumis à l’appréciation des membres de la commission représentant les différentes parties concernées par les délits financiers et participant aux enquêtes chacune selon son champ d’action et si c’est le cas, reviendrait-il seulement à la CTAF d’assumer la responsabilités du non-aboutissement de certaines investigations ou aussi à ses partenaires institutionnels publics ?
  • Quelle image donnons-nous de la CTAF devant le GAFI (Le Groupe d’action financière qui dirige l’action mondiale de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) si nos propres autorités ne font pas confiance à l’institution censée lutter contre les délits financiers et estiment qu’elle souffre de graves lacunes dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération ?

Et enfin, que devons-nous attendre du GAFI qui devrait venir en Tunisie au deuxième trimestre 2025 pour juger du maintien de la Tunisie en dehors de la liste noire ou grise qui désigne les pays dont les régimes LCB-FT (lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) fléaux du 21ème siècle, présentent des lacunes et doivent subir une surveillance accrue, lorsque nous mêmes, nous doutons de l’efficience de la CTAF dans sa lutte contre ses deux fléaux ?

Des questions auxquelles nous l’espérons, les pouvoirs publics acceptent de répondre pour que toutes les actions prises s’agissant d’enjeux importants, puissent évaluer leurs impacts sur d’importantes institutions du pays, leur image et l’image de la Tunisie.

Amel Belhadj Ali

(Source : rapport CTAF 2023)