35.000 entreprises sont inscrites sur Keejob.com lancé en 2009. La plateforme dispose d’une CVthèque de 500.000 candidats, elle met annuellement à la disposition des demandeurs d’emplois 33.000 offres d’emploi et se targue de plus de 150.000 recrutés depuis 15 ans. De la plateforme emploi/recrutement, Maher Ben Salem, CEO de Keejob est passé au Salon de l’Emploi avec pour objectif donner plus de visibilité au marché de l’emploi et mettre en contact aspirants à l’emploi qui s’interrogent sur leur avenir professionnel et les choix de carrières et recruteurs. Le Salon de l’emploi vise aussi à informer les jeunes demandeurs d’emploi sur les opportunités qui s’offrent à eux au national et à l’international sur les meilleurs outils dont ils (elles) doivent disposer pour s’imposer dans un marché en constante évolution.
Radioscopie du marché de l’emploi avec Maher Ben Salem dans un entretien en deux temps :
Le Salon de l’Emploi en est à la quatrième édition, quel est le bilan ?
Le Salon a évolué en Salon de l’Emploi et de la Formation. La première année, on avait 2.500 inscrits, la deuxième édition 5.000, la 3ème édition 8.500 inscrits et cette année on va être à plus de 10.000 inscrits sur la plateforme. Dès lors que la personne est inscrite, elle dépose un CV, ensuite on l’invite à assister aux deux journées du Salon.
Combien de visiteurs ?
L’année dernière c’était environ 5000 visiteurs, cette année notre objectif est de drainer 6500 soit + de 40 % des inscrits. Le nombre des exposants reste stable, nous avons progressé sur les trois premières éditions. Cette année, le nombre n’a pas évolué. Nous gardons les fidèles clients.
Le contexte économique n’est pas des plus favorables comme vous le savez. On nous dit, nous n’avons pas de visibilité. Pour cette troisième édition, nous avons intégré toute une aile pour la formation, essentiellement linguistique et bureautique.
Ce qui marche le plus est la formation linguistique tenant compte du souhait de l’immigration pour les jeunes.
Dans la poly-formation il y a des partenariats avec des institutions publiques, est ce qu’il y a du répondant ?
Depuis que la plateforme a été créée, on a toujours fonctionné en mode privé/privé, il y a des recruteurs qui sont avec nous depuis plus de 10 ans. Les CV sont déposés gratuitement. Coté partenaires publics, l’ANETI (Agence Nationale pour l’Emploi et le Travail) a été présente lors de la deuxième édition et sera également des nôtres cette année. Nous avons un projet de coopération sur la formation linguistique.
Keejob a mis en place un programme d’apprentissage des langues financé par l’Union européenne. Il s’agit de former des jeunes diplômés chômeurs en langues pour les faire passer d’un niveau A2 et B1 moins au niveau B2. Ce qui veut dire un niveau d’utilisateur qui permet aux prétendants à l’emploi de comprendre le contenu essentiel de sujets concrets ou abstraits, y compris une discussion technique dans leur domaine de compétences.
Le B2 est maintenant le niveau requis pour l’employabilité. Nous avons conduit un projet pilote de 40 personnes, notre but étant de les outiller pour décrocher un emploi dès lors qu’ils ont atteint le niveau B2.
Pourquoi, selon vous, l’outil langue est aussi important pour l’employeur ?
Dans les 500.000 CV que nous avons sur Keejob, avec comme précisé plus haut, 35.000 à 40.000 nouveaux inscrits chaque année dont 50% voire 60% de diplômés, nous choisissons depuis cinq ans, un échantillon de 1000 à 1500 jeunes et nous leur faisons un test de langue, en Anglais ou en Français. Ils ont eu leur baccalauréat et ont fait entre 2 ou 3 ans d’études supérieures au minimum.
Parmi les testés, entre 65 à 70% ont moins de 8/20 comme note sur des tests écrits et oraux dans les langues. On prétend que le Tunisien maitrise mieux la langue anglaise, la réalité est qu’une grande majorité ne maîtrise aucune langue.
Or, aujourd’hui dans le travail, il faut pouvoir communiquer, mettre en place des process internes, rédiger un rapport et être réellement opérationnel sur le terrain de l’employabilité dans le monde, pour ce, le minimum est B2.
“La langue, c’est le passeport de l’emploi.” – Maher Ben Salem, CEO de Keejob
Nos jeunes maîtrisent une seule langue et veulent être embauchés à l’international. Ils sont de plus en plus nombreux à le vouloir. Avant la pandémie Covid+, ceux qui désiraient partir ne dépassaient pas les 52 à 55%, nous sommes aujourd’hui sur un chiffre de 90% selon une enquête réalisée en interne.
Nous posons la même question aux candidats à l’emploi : « Souhaitez-vous avoir des offres à l’international ? Êtes-vous candidat à l’émigration ? », 90% des candidats répondent oui.
Dans un sens, cela peut être positif pour l’international mais pas pour notre pays. Nous formons aujourd’hui des élites qui ne se projettent plus dans leur pays. Cela étant, nous pouvons pousser l’optimisme jusqu’à croire qu’ils feront une expérience à l’international et reviendront ensuite. Je prends l’exemple des TIC, les ingénieurs et techniciens, peuvent travailler à partir de la Tunisie pour l’international, mais ce n’est pas le cas du médical et du paramédical. Nous ne formons pas assez et nos médecins et nos paramédicaux sont en train de partir. Donc là, le système de santé s’en ressent et à terme notre pays en souffrira.
Pour revenir à l’handicap de la langue, il faut comprendre que maîtriser les langues, ouvre de grands horizons aux postulants à l’emploi en Tunisie ou ailleurs. Qu’on s’exporte vers l’Afrique, les pays du Golfe, l’Europe, les States ou le Canada, il faut savoir communiquer dans la langue du pays hôte ou dans une langue internationale. L’Afrique est francophone et anglophone, pareil pour tous les autres pays, l’Asie aussi.
Le Canada, à titre d’exemple est bilingue, donc aujourd’hui maîtriser les langues est indispensable, y compris lorsqu’on brigue un emploi sur le marché Tunisien. Un responsable marketing ne peut pas négocier ni discuter ni envoyer des mails sans parler couramment une ou deux langues internationales.
Aujourd’hui, il y a la correction et la traduction google, l’intelligence artificielle et nombre de moyens pour se débrouiller et communiquer…
C’est loin d’être suffisant ! Je vois beaucoup de recruteurs et on me dit souvent que si le niveau de cette personne testée en anglais ou en français ne correspond pas, je ne peux pas l’employer.
Personnellement je m’interroge : comment un diplômé a pu suivre et comprendre ses cours de marketing, de droit ou d’économie enseignés en français, s’il ne maîtrise pas la langue ? Comment a-t-il assimilé ses cours de comptabilité ? Les défaillances sont claires et nous le voyons s’agissant des sociétés offshores.
La Tunisie est attrayante, elle attire aujourd’hui dans l’offshoring les sociétés de service, cela veut dire de l’ingénierie, des centres d’appels, des cabinets de comptabilité à l’agence, des agents de saisie et ainsi de suite. Il y a des cabinets d’ingénieries de bâtiment ouverts en Tunisie, des centres de relation clients, qui nous choisissent parce que nous sommes compétitifs mais nous devons pallier les lacunes.
Des solutions aux problèmes de langues ?
C’est simple, il faut réinvestir dans l’apprentissage des langues. Je vous donne une expérience personnelle. Nous avons formé gratuitement 40 postulants à l’emploi grâce à des subventions de l’UEE. Ils ont beaucoup de bonne volonté mais ne disposent même pas des frais de transport, aucune indemnité, ce sont des jeunes au chômage.
Ce que je propose est que l’Etat mette en place un mécanisme financier, comme un prêt recrutement qui peut être remboursé pour armer les jeunes aspirants à l’emploi. L’outil langue permettra de réintégrer ces gens-là dans le système. Un jeune qui a eu un emploi et a eu sa première expérience de travail même quand il était étudiant, crée une bonne dynamique.
90% des jeunes Tunisiens souhaitent partir à l’étranger. La maîtrise des langues est la clé pour les retenir et les faire prospérer.
L’expérience l’a prouvé. Si vous rentrez dans tous les sites dédiés à l’emploi, vous trouverez que 85% des offres exigent un minimum de 3 à 4 ans d’expérience et logiquement, on ne peut pas gérer une société exclusivement avec des séniors, donc il faut intégrer chaque année des juniors, c’est un principe sacro-saint dans la dynamique Emploi.
Ne faut-il pas décentraliser et créer des centres de formation aux langues sur place. Est-ce c’est trop ambitieux ?
Indiscutablement ! Le taux de chômage est très élevé à l’intérieur de la République. Il y a un manque d’activités économiques et certaines entreprises souhaitant s’implanter dans ces régions ou y décentraliser leurs activités sont hésitantes. Il faut donner leur chance à ces jeunes, aujourd’hui les formations peuvent être dispensées à distance.
Il y a des ISET un peu partout, on a créé un programme financé par l’union européenne qui porte le titre 4C. Soit des Centres de Carrière et de Certification des Compétences dont le but est d’améliorer l’employabilité des étudiants à travers des programmes de conseil, d’accompagnement, de formation et d’ouverture sur l’environnement socio-économique. Un programme conçu et réalisé par l’Etat, et on a fait appel à des consultants pour l’apprentissage des soft skills, il y a eu des foires, des jobs fair partout à l’intérieur de la république mais finalement aucun résultat.
Aujourd’hui, grâce aux 4C et les équipements qui existent dans les centres, pourquoi ne pas donner accès gratuitement à des jeunes pour qu’ils se forment à distance en langue. Nous avons changé la vie des jeunes que nous avons formés parce que l’apprentissage des langues a renforcé leur confiance en eux-mêmes, ils se défendent mieux et s’imposent lors de l’entretien d’embauche ou lorsqu’ils sont recrutés.
Investir dans la formation linguistique, c’est investir dans l’avenir de notre pays
Aujourd’hui, les pays de tailles similaires à la nôtre, dont la population maitrise deux à trois langues, savent mieux s’exporter. Ils sont partout dans le monde. Les Tunisiens le sont aussi mais parmi eux, il y’en a qui ont beaucoup de difficultés et sont sous-payés par rapport à d’autres malgré leurs compétences et ils l’acceptent à cause de la langue.
Nous sommes sollicités par des cabinets allemands, canadiens et même italiens et très souvent ce qui manque à nos jeunes indiscutablement brillants, c’est la langue. Cela est dû à notre système scolaire et aux politiques suivies depuis la fin des années 80.
Un exemple concret dans le commerce international, si nous voulons défendre un produit en Asie, en Europe ou aux Amériques, nous ne pouvons pas le faire dans la langue arabe. Si nous voulons exporter l’huile d’olive, il faut discuter et négocier en Anglais…Pareil pour les autres secteurs exportateurs.
Je viens de voir qu’on veut accompagner financièrement les fondateurs des sociétés communautaires en leur octroyant 800 D par mois pendant 12 mois, pareille initiative pourrait-elle donner des résultats quelconques ? Notre Etat peut-il se permettre de payer de telles sommes à des sociétés communautaires en cours de constitution ?
Le ministère de la Formation aurait pu consacrer ces fonds à la formation des jeunes dans les langues et la maitrise des outils informatiques de base. Je vous assure qu’en un clin d’œil, nos jeunes décrocheront des emplois.
Le PPP avec les ISET pour le chantier des langues peut-il être possible puisqu’ils abritent les 4C ?
Sûrement. Vous avez parlé des régions. La formation en langues peut être distancielle. Le Maroc l’a compris et est en train de l’implanter avec l’équivalent de l’ANETI marocain. Ils pensent qu’en formant les jeunes en langues, ils peuvent attaquer l’Afrique anglophone et francophone.
A travers ce dont disposent aujourd’hui les ISET comme équipement, nous pouvons former nos jeunes à distance. Nous pouvons proposer un programme d’apprentissage intensif qui s’étale sur trois ou 6 mois avec un accompagnement régulier et rigoureux. On dit aux jeunes, la langue est aujourd’hui votre passeport emploi.
La langue, c’est le pouvoir. Maîtriser plusieurs langues, c’est ouvrir les portes du monde
Je suis quasiment sûr que beaucoup de groupes tunisiens, beaucoup d’employeurs tunisiens, ou des sociétés implantées en Tunisie, conditionnent le pré-embauche par la maîtrise des langues.Après les certificats et les attestations d’apprentissage des langues par des organismes certificateurs, on peut leur faire passer des tests à la sortie de la formation pour s’assurer du niveau et des prédispositions.
En Europe, ils ont créé le passeport digital donné aux jeunes sortis des écoles qui ont maîtrisé les outils numériques, l’Outlook, Excel, power point, Word, soit des outils indispensables pour assurer au travail. En Tunisie, il nous faut les passeports langue et digital.
Entretien ne conduit par Amel Belhadj Ali