Dédiée au centenaire de la naissance du mouvement syndical national tunisien (1924 – 2024), la 31ème session de l’université d’été de la Fondation Mohamed Ali Hammi (FMAH), s’est tenue, les 6, 7 et 8 septembre, à Hammamet, sur le thème « Comment se positionner dans un monde en pleines mutations ?  Proposition d’alternatives citoyennes ».

Plantant le décor,  Habib Guiza président de la FMAH a tenu à situer l’université d’été dans ses contextes interne et externe avec une mention spéciale le contexte actuel : l’élection présidentielle 2024.

Avant de penser à l’international, régler nos affaires internes

Il a déclaré : “Pour aborder la question de notre positionnement dans le contexte international, nous devons d’abord régler nos affaires internes. Nous croyons que le véritable enjeu est de reprendre le processus de transition démocratique qui s’est écarté de son parcours initial.”

Il a ajouté : “Nous ne sommes pas engagés dans une compétition politique, mais en tant que société civile et mouvement syndical, nous avons des responsabilités nationales et citoyennes. Nous tenons aux libertés, considérées comme un acquis de ce que l’on appelle la décennie noire, et nous défendons l’État de droit et les institutions, tout en respectant la justice et ses décisions ».

“Le véritable enjeu est de reprendre le processus de transition démocratique qui s’est écarté de son parcours initial.” – Habib Guiza

Quant aux candidatures pour la présidence, il a affirmé : “Chaque Tunisien a le droit de s’y présenter, mais il est essentiel de connaître les programmes économiques et politiques des candidats pour éviter de revenir à la période de la Troïka et de Nidaa Tounes, ce qui est inacceptable. Nous tenons aux libertés non pas dans leur dimension libérale mais dans leur essence économique et de développement.”

Concernant le volet social, il a indiqué que l’objectif  principal de cette Université d’Eté est de revisiter l’actuel modèle social tunisien en profonde crise structurelle et de proposer une alternative citoyenne.

« Déjà à la veille des évènements de décembre 2010-Janvier 2011, le « modèle social tunisien » était en profonde crise qui a constitué le terreau favorable des émeutes de décembre 2010 et de janvier 2011 », a-t-il relevé.

Pour Habib Guiza, ce qu’on aurait du réussir à la faveur de l’acte de rupture qui a eu lieu en 2011, ce n’est pas la transition démocratique à  laquelle les tunisiens n’étaient pas préparés mais plutôt la transition sociale et l’élaboration d’un nouveau contrat social.

« Malheureusement cette situation sociale s’est considérablement aggravée par la conjonction de facteurs internes et de facteurs externes » a-t-il dit.

Déjà à la veille des évènements de décembre 2010-Janvier 2011, le « modèle social tunisien » était en profonde crise qui a constitué le terreau favorable des émeutes de décembre 2010 et de janvier 2011

Au plan interne, plus de trois années après ce coup de force, qui, quoiqu’on en dise, a recueilli une vaste approbation populaire ; et à la veille des élections présidentielles, sur des points importants  la visibilité n’est pas nette. Le besoin est urgent de contribuer à améliorer cette visibilité.

Au plan externe, le changement politique du 25 juillet 2021, s’est déroulé alors que le monde est entré dans un contexte international exceptionnel : crise du Covid 19, guerre russo-ukrainienne, guerre de Gaza. Ces deux derniers conflits, aux importantes conséquences ressenties au niveau économique et social, restent ouverts à des risques majeurs et mettent le monde dans une situation d’incertitude durable.

Pour revenir aux travaux de l’université, ils ont été axés  sur trois grands thèmes : une lecture actualisée de la crise du « modèle social tunisien », crises et perspectives, identification de nouveaux acteurs et leviers de changement et réinvention d’une nouvelle solidarité.

Globalement, le débat a été autour de deux axes : le diagnostic et les propositions citoyennes.

Diagnostic : une situation délétère qui a trop duré

Dans une longue communication de grande facture (40 pages), intitulée « Le modèle social tunisien, genèse, crises et perspectives », l’universitaire et économiste Hédi Zaiem a brossé un tableau exhaustif des étapes par lesquelles est passé le social depuis l’accès du pays à l’indépendance.

Mention spéciale pour la séquence traitant du modèle social tunisien à la veille du coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021. Cette période que  l’économiste a qualifiée de l’ère « du clou dans le mur » (traduction de l’expression en arabe « mismar fi Hit ») a été résumée en plusieurs points :

– Un secteur privé dominé par une oligarchie rentière ;
– Un secteur public qui, sur ce point, ne s’en distingue que très peu;
– Une polarisation de la masse des travailleurs en :
– La masse de salariés hyper-protégés du secteur public, devenue elle-même rentière et s’y accrochant à tout prix ;
– La masse de salariés du secteur privé, moins protégée et aspirant à la rente ;
– Les « sans toit » dont une partie marginalisée et oubliée, et une autre partie cherchant dans l’illégal et l’informel un refuge et une manière d’exister ;
– Une polarisation spatiale (inégalités régionales) et sectorielle (secteur moderne et monde rural) qui recouvre en grande partie la polarisation sociale ;
– Des services publics défaillants, dont en particulier un système éducatif, auparavant « ascenceur social », gangrené par l’affairisme à la faveur d’une pernicieuse destruction du secteur public ;

Le problème de la Tunisie de 2024 n’est pas un problème économique.

En conclusion l’économiste estime que le problème de la Tunisie de 2024 n’est pas un problème économique. « Ceux qui ne pensent « les crises et les sorties de crises », qu’en termes de croissance se situent en dehors de l’histoire ; et c’est le cas de la quasi-totalité des économistes dont je suis », a-t-il dit avant d’ajouter : « La plupart déclarent proposer des mesures pour « relancer l’activité économique », et les plus ambitieux cherchent les moyens de « passer à un nouveau palier de croissance ».

« C’est comme si la crise que nous connaissons, a-t-il noté, est une simple perturbation d’un trend (tendance) naturel et immuable, perturbation due au choc de la « révolution » de 2011, et aux errements de la « décennie noire »  fortement relayés par des évènements extérieurs majeurs, dont la crise sanitaire du COVID 19, la guerre en Ukraine et celle désormais de Palestine, puisque le pouvoir Israélien après le massacre de Gaza, semble maintenant vouloir étendre le massacre à toute la Palestine, en attendant plus ».