Dédiée au centenaire de la naissance du mouvement syndical national tunisien (1924 – 2024), la 31ème session de l’université d’été de la Fondation Mohamed Ali Hammi (FMAH), s’est tenue, les 6, 7 et 8 septembre, à Hammamet, sur le thème « Comment se positionner dans un monde en pleines mutations ?  Proposition d’alternatives citoyennes ».

Dans une première partie, les conférenciers qui ont participé aux débats instaurés, au cours de cette université d’été, ont mis en exergue la situation délétère qui prévaut dans le pays (état des lieux) et ont montré que les problèmes de la Tunisie ne sont pas uniquement politiques et économiques mais plutôt d’ordre social. Pour eux, la véritable transition qui devait avoir lieu depuis le changement de 2011 est par excellence, une transition sociale. En filigrane ils ont pointé du doigt les chercheurs qui n’ont pas assez étudié les slogans des émeutes de décembre 2010 et janvier 2011: « shoghl, horryya, karama wataniyya » (emploi, liberté et dignité).

Les blocages qui ont entravé l’évolution naturelle de la Tunisie

Dans cette deuxième partie, les conférenciers traitent des blocages structurels multiformes qui entravent le développement du pays. Ils ont plaidé pour une néo-indépendance du pays et pour le compter sur soi. Il ont dénoncé, au passage, l’asymétrie des accords de libre échange conclus à l’échelle multilatéral et régionale et proposé, en même temps,  des solutions pour y remédier et de nouvelles solidarités adpatées à la condition du tunisien.

“La véritable transition qui devait avoir lieu depuis le changement de 2011 est par excellence, une transition sociale.”

Faisant le bilan du partenariat tuniso européen que concrétise l’accord d’association conclu en 1995, l’universitaire et expert économique Jamel Aouididi,  se référant à l’ouvrage “Eurafrique aux origines coloniales de l’Union européenne” de Peo Hansen et Stefan Jonsson de l’université de stockholm (Suède), estime que les européens ne se sont jamais démarqués de leurs origines coloniales. Il a relevé que depuis les traités de Rome en 1957, les européens ont planifié, à travers  des accords de partenariat, l’exploitation des resssources matérielles humaines de leurs anciennes colonies au sud de la méditerranée et en Afrique.

Morale de l’histoire : une révision de ces accords asymétriques au détriment de la Tunisie est plus qu’indispensable.

Traitant de la décolonialité  ou comment se libérer de “la matrice du pouvoir sans fin”, Riadh Zghal, sociologue et universitaire, a rappelé que la colonisation est un mal beaucoup plus profond et n’a pas fini dans le temps.

Concept sud-américien qui reprend autrement les idées de Franz Fanon “les damnés de la terre”,  la décolonialité se propose d’expliquer les dispositifs de domination et d’exploitation à l’échelle mondiale, produits à l’origine par les administrations coloniales, et dont les effets systémique persistent dans les sociétés contemporaines et dans les échanges entre pays sous développés et bailleurs de fonds.

Pour s’en débarrasser, la sociologue a insisté, notamment, sur l’enjeu pour les anciennes colonies de lutter contre la pauvreté et de prendre en charge la valorisation de leurs propres richesses.

“Les européens ne se sont jamais démarqués de leurs origines coloniales.”

De son côté, Samir Meddeb, universitaire et consultant international en matière et d’environnement et de développement durable a fait une communication sur le réaménagement du territoire, la révision de l’urbanisation et de la politique des villes, la question écologique et l’agriculture”.

L’universitaire, qui a insisté sur la corrélation entre développement et aménagement du territoire, a plaidé pour un nouveau schéma d’aménagement du territoire.

Expliquant sa proposition, l’expert a notamment, indiqué, “qu’un aménagement du territoire non planifié ou spontané, généralement non concordant avec les spécificités des milieux fait certainement perdre à la communauté un manque à gagner considérable que malheureusement jusqu’à nos jours aucune étude ne s’est penché dessus pour l’évaluer et le calculer. La connaissance de cette perte est aujourd’hui de grande utilité, elle permettra de mieux interpeler les politiques et les décideurs sur les méfaits de l’absence d’un aménagement du territoire au service du développement ».

A la recherche de nouvelles solidarités

Pour sa part, Mme Mellouli Leila, universitaire à l’IHEC de Sousse a traité de la réhabilitation de l’économie sociale et solidaire (ESS), branche de l’économie qui concilie activité économique et équité sociale.

Elle a rappelé les principes fondateurs de cette économie tels qu’ils sont définis par l’Organisation internationale du travail (OIT). Ces principes étant : la recherche d’une utilité collective, non-lucrativité ou lucrativité limitée (bénéfices réinvestis au service du projet collectif), gouvernance démocratique (primauté des personnes sur le capital), implication des parties prenantes….

Appelée également « Tiers secteur », cette branche de l’économie, qui regroupe les organisations privées ou publiques (entreprises, coopératives, associations, mutuelles ou fondations), a pour but d’intervenir là où le public et le privé ne peuvent pas le faire. Elle est appelée d’après Leila Mellouli à jouer le rôle de « vecteur de modèle de développement inclusif ».

“L’ESS favorise l’amélioration,  au moindre coût, des services publics décents”

Concrètement, a-t-elle-dit, l’ESS favorise l’amélioration,  au moindre coût, des services publics décents (transport, santé, éducation…) en faveur des communautés enclavées dans les zones rurales.

En plus clair encore, l’ESS génère des activités durables respectueuses de l’environnement, génératrices d’emplois de proximité et de revenus décents.

En dépit de tant d’avantages,  en Tunisie, cette économie ne fait travailler, aujourd’hui, qu’environ 20 mille personnes en Tunisie, 0,5% de la force du travail, contre 15% en Hollande et 10,5% en France, et ce,  en dépit de l’adoption, en juin 2020,  c’est-à-dire depuis quatre ans, d’une loi sur l’ESS. C’était au temps du chef du gouvernement Elyes Fakhfakh.

Les intervenants au débat qui a suivi cette communication se sont interrogés sur le retard qu’accuse la publication des textes d’application de la loi de 2020. Cette même loi qui,  a-t-on remarqué, aurait été doublée, voire remplacée  par celle initiée par le chef de l’Etat Kaïes Saied.  En vertu de cette nouvelle loi des structures similaires aux sociétés de l’ESS ont été créées avec l’appui de l’Etat et du soutien personnel du président de la république. Il s’agit des fameuses sociétés communautaires (Chariket Al ahlia).

Les intervenants se sont interrogés, également,  sur les raisons qui ont amené Kaïes Saïed à ne pas mentionner dans sa Constitution du 25 juillet 2022, la coexistence des trois secteurs public, privé, tiers secteur alors que le brouillon de Constitution élaboré par les juristes Sadok Belaid et Amine Mahfoudh le signalait  parfaitement. Il semble que le chef de l’Etat avait évité de le faire en raison des traumatismes subis par les tunisiens suite au collectivisme instauré en Tunisie dans les années 60. Les coopératives étant, par définition,  des sociétés d’ESS par excellence.

Abstraction faite de tous ces détails, l’universitaire Leila Mellouli estime que l’économie sociale et solidaire demeure le mécanisme de solidarité qui sied le mieux aux tunisiens. Elle serait, d’après elle, la meilleure réponse aux revendications des indignés qui sont descendus, au mois de décembre 2010 et de janvier 2011, dans la rue pour réclamer emploi, liberté et dignité.

Aide toi, le ciel t’aidera

Le tunisien en tant qu’individu est appelé à faire l’effort pour se transformer et acquérir, de manière continue, les compétences requises pour s’adapter aux exigences sans cesse renouvelées de son temps.

Dans une communication fort intéressante intitulée « accélérer la transformation : le développement personnel comme catalyseur de la citoyenneté, du succès et de la croissance durable », Mme Sihem Sehili, consultante en Coaching a mis en avant « l’importance de la conscience de soi, de l’amélioration personnelle et de l’apprentissage tout au long de la vie comme éléments fondamentaux du développement personnel. Selon elle, en favorisant ces qualités, les individus sont mieux équipés pour se fixer des objectifs clairs, assumer des responsabilités personnelles et poursuivre leurs aspirations avec confiance.

Morale de l’histoire : il s’agit d’améliorer la qualité de l’homme tunisien en l’aidant, depuis la crèche jusqu’à l’âge adulte,  à acquérir à travers l’éducation et la conscientisation, les bonnes compétences qui feront de lui un citoyen responsable. Le message est clair : il faut compter sur soi.

Lire aussi la 1ère partie :
Modèle social tunisien : Crise profonde ou simple perturbation ?