Presque à l’unanimité, les observateurs locaux et étrangers de l’attractivité du site Tunisie relèvent que, depuis 2011, notre pays n’est plus un site intéressant pour les investissements étrangers. Pour les attirer de nouveau,  ils estiment  que l’enjeu réside dans l’investissement massif dans l’innovation et la numérisation.

Pour ne citer que les conclusions de la plus récente étude menée par le cabinet français, Cap Gemini, spécialisé dans les services numériques, la Tunisie ne figurerait pas dans la liste des quinze futurs pays les plus attractifs d’IDE dédiés aux industries manufacturières  dans la zone euro-méditerranéenne. Sur les quinze pays listés, trois pays du sud de la méditerranée y sont retenus. Il s’agit de la Turquie, de l’Egypte et du Maroc.

La baisse de l’attractivité a pour origine…

Cette contreperformance tire ses origines, d’après ces mêmes observateurs, de deux principaux facteurs :

  • Le premier a trait à l’effet conjugué de plusieurs changements majeurs : l’instabilité politique qui a prévalu dans le pays depuis 2011, la réindustrialisation de l’Europe générée par la pandémie du corona virus, les normes de décarbonation instituées aux frontières européennes suite à l’exacerbation du changement climatique, les progrès tsunamiques de la numérisation (intelligence artificielle) et leur impact sur la production et les chocs exogènes (impact de la guerre russo ukrainienne).
  • Le deuxième facteur est une conséquence du premier. Les changements précités ont fait émerger de nouveaux déterminants de l’IDE dans le monde. Il s’agit, principalement, de l’exigence dorénavant d’une main d’œuvre à qualification numérisée, d’une production respectueuse de l’environnement, de la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et l’option pour des sites de production de proximité (nearshoring).

Pour toutes ses raisons, la Tunisie n’est plus attrayante avec ses avantages compétitifs classiques : les bas salaires, les faibles coûts de production et la proximité d’un des premiers grands marchés du monde, l’Union européenne.

Les extensions ne sont pas des créations

Et lorsqu’on parle, depuis une dizaine d’années dans les médias de nouvelles réalisations en matière d’IDE, il s’agit plus d’extensions que de créations, c’est à dire de réinvestissements d’une partie des 4000 entreprises off shore implantées dans le pays.

Cette tendance s’est poursuivie jusqu’en 2024, année marquée par l’enregistrement d’une importante accélération et intensification d’extensions réalisées par des équipementiers automobiles et aéronautiques off shore implantés en Tunisie. La stabilisation du pays et l’amélioration de la sécurité expliquent en grande partie ce retour de confiance en la Tunisie.

“La Tunisie doit passer d’un modèle économique basé sur les bas salaires vers un modèle axé sur l’innovation et les nouvelles technologies.”

Face à ces changements, les responsables  d’appui et de promotion des ide en Tunisie sont conscients de ces nouvelles tendances depuis une dizaine d’années. Ils font de leur mieux pour explorer d’autres pistes pour attirer des IDE new look.

L’innovation serait la panacée idéale

Intervenant lors d’un récent débat organisé, le 23 avril 2024,  par la Délégation de l’Union européenne en Tunisie sur le thème «Relancer les IDE dans le nouveau contexte mondial », Namia Ayadi, présidente de l’Instance tunisienne de l’investissement (TIA) a déclaré qu’en matière d’IDE, la tendance aujourd’hui en Tunisie est à l’innovation.

« Nous avons besoin de passer d’un modèle qui est basé sur une industrie à faible valeur ajoutée vers un modèle où l’innovation et les nouvelles technologies doivent être au cœur de la croissance, d’où l’enjeu pour la Tunisie d’attirer des IDE innovants, utilisant les nouvelles technologies et prenant en considération des paramètres comme le défi climatique et la relocalisation », a-t-elle dit.

Les résultats ne suivent pas

Néanmoins, au regard des résultats, on constate que ces mêmes responsables sont toujours dans le tendanciel et non en mode d’action. Pour preuve, le dernier classement de la Tunisie par l’ Indice mondial de l’innovation (Global Innovation Index GII- 2024). Cet indice, qui évalue les capacités, les performances et les faiblesses des pays étudiés en matière d’innovation, a classé la Tunisie à la 4ème place en Afrique et à la 81ème dans le monde sur un total de 133 pays listés avec un score de 25.

Le plus important enseignement à tirer de ce dernier classement est le suivant: la Tunisie enregistre avec ce classement un recul pour la 4ème année consécutive, ce qui illustre, de manière éloquente, le peu de progrès accompli en la matière. Pour mémoire, la Tunisie a été classée par le même indice 65e en 2020, 71e en 2021, 73e en 2023, 81e en 2024.

“L’absence d’un écosystème favorisant l’innovation est un frein majeur à l’attractivité de la Tunisie.”

Ce recul est en plus annoncé à un moment où les responsables d’appui à l’investissement et à l’innovation ne cessent de marteler, depuis des années, qu’avec la disparition des avantages comparatifs liés aux bas salaires et au positionnement stratégique, le site de Tunisie de production internationale ne serait compétitif qu’à la faveur de l’innovation.

Par composantes, les plus mauvais classements de la Tunisie sont perceptibles à travers deux insuffisances structurelles :

  • La première concerne l’inexistence d’un écosystème favorisant l’innovation. Comprendre : la Tunisie n’a pas encore crée sa niche sur le marché des industries numériques.
  • La seconde porte ce que l’indice appelle « le faible niveau de performance en perfectionnement des affaires (119ème) en rapport avec le manque de synergies entre les différents acteurs de l’innovation (universités, entreprises).

Cette faiblesse a été mise en exergue lors d’une journée de réflexion organisée, le 17 octobre 2024, par la Chambre de Commerce et d’Industrie Tuniso-Française (CCITF) sur le thème «le partenariat entreprise-université : un moteur de Développement». Cette rencontre a montré que les parties concernées par la recherche collaborative (administration, chercheurs, industriels, laboratoires…) ne se connaissent pas. A titre indicatif, ces parties ont été surpris de savoir, pour la première fois, que la Tunisie compte environ 520 laboratoires.

“Le partenariat entre les entreprises et les universités est essentiel pour stimuler la recherche et le développement.”

Est-il besoin de rappeler ici que le laboratoire, de par la qualité de l’incubation qu’il permet, est retenu, aux côtés de la qualité du produit ou du service à optimiser, comme un élément déterminant pour le succès de tout projet de recherche collaborative, levier essentiel du partenariat entreprise-université.

Pour ne rien oublier, le Global Innovation Index GII- 2024, élaboré par l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle, évalue les capacités, les performances et les faiblesses des pays étudiés en matière d’innovation,  à travers 81 indicateurs répartis en 7 composantes : institutions, capital humain et recherche, infrastructures, fonctionnement des marchés, performance des affaires, produits de connaissances et de technologies, produits de la créativité.

Abou SARRA