Entraînant une injection de liquidités dans l’économie par le biais des paiements effectués par le Trésor Public, et une augmentation de la masse monétaire (hausse des dépôts à vue et/ou des billets en circulation*). On reproche à cette approche l’encouragement, si la banque centrale n’est pas remboursée, à un laxisme budgétaire et des risques de tensions inflationnistes. Cela ne sera pas le cas affirme Zied Ayoub, initiateur du projet de loi pour la révision des statuts de la BCT : ”Il y a un seuil à ne pas franchir s’agissant d’accorder des prêts à l’État et des limites bien définies dans le projet de loi. Aucun risque sur la masse monétaire ou d’inflation”.

Suite et fin de l’entretien Zied Ayoub, expert financier :

Si la proposition de loi est adoptée, quel sera son impact immédiat et à plus long terme ?

J’avais préconisé que l’on rembourse les crédits extérieurs en puisant dans les réserves en devises en contrepartie d’un titre de créance à long terme entre la banque centrale et l’État tunisien. Ceci a déjà été fait**. Il y a eu énormément de critiques à ce sujet, on disait que cela provoquerait l’inflation, ferait baisser le dinar, réduirait la notation souveraine de la Tunisie et sa crédibilité.

Cependant, le résultat a été nettement positif : le rythme de l’inflation a nettement décéléré, passant de 10% à 6,7%, et le taux de change s’est stabilisé et pourrait encore s’améliorer. Nous avons désendetté l’État en nous abstenant de recourir à un autre crédit, cassant ainsi la spirale du surendettement et ouvrant la voie à une nouvelle méthode de régularisation des dettes de l’Etat.

Concernant les agences de notation, notre notation baissait continuellement parce que nous n’avions pas changé de modèle de financement de nos dettes, réglant nos dettes par de nouvelles créances, ceci a été nettement réduit.

Le remboursement des dettes par de nouveaux crédits aurait amené le pays tôt ou tard à la faillite, c’est la raison pour laquelle on baissait continuellement notre notation. Nous avons démontré que nous pouvions avoir un nouveau moyen de remboursement, ce qui donne de l’espoir.

“La réforme de la Banque centrale tunisienne, une bouffée d’air frais pour l’économie.”

L’amélioration de notre notation de deux grades, passant de CCC- à CCC+, en est la preuve. Nous ne résoudrons certainement pas le problème du jour au lendemain, mais nous avons fait un bond significatif.

Par contre, nous avons compensé nos besoins en financements par l’endettement intérieur, impactant le financement de l’économie en puisant dans l’épargne nationale. Toute l’épargne nationale bancaire est orientée vers le financement du trésor public, ce qui explique pourquoi les banques n’accordent plus de crédit. Nous aurons quand même un problème au niveau de l’endettement intérieur, risquant de nous retrouver dans une situation de blocage et d’insolvabilité.

Nous avons deux choix : soit maintenir un TMM très haut pour collecter l’épargne et financer le trésor public et dans ce cas, cela va impacter négativement le financement de l’économie, soit abaisser le TMM pour relancer l’économie et dans ce cas, nous aurons les fonds nécessaires pour financer le trésor public. La nouvelle loi offrira un cadre réglementaire global qui gérera aussi bien l’endettement extérieur qu’intérieur de manière arbitrée, c’est-à-dire en harmonisant la politique monétaire et budgétaire.

Nous dégagerons ainsi l’économie tunisienne du fardeau financier et aurons des fonds pour financer l’économie. Les fonds déboursés pour les intérêts seront investis dans l’infrastructure et des opérations d’ordre social, comme les hôpitaux, les universités et le transport. Cela impulsera l’économie de manière extraordinaire et offrira à la Tunisie la souveraineté qu’elle souhaite, sans avoir à quémander de prêts.

La Tunisie, a, il est vrai, fermé la porte au FMI, mais l’Etat a aussi contracté des prêts auprès d’autres bailleurs de fonds, à court, moyen et longs termes avec des taux d’intérêt exorbitants. Vous trouvez équitable que l’on fasse hériter aux prochaines générations un fardeau aussi lourd ?

On ne peut pas nier qu’il y a une nette amélioration. Nous contractons toujours des crédits, mais il y a une nette diminution du financement du trésor par le recours à l’emprunt extérieur. Il ne faut pas oublier que depuis 2011, nous contractons un montant de crédit correspondant à 80% du montant du service de la dette. Et maintenant, combien cela représente ? 10% ? Il y a aussi une confusion : il y a des lignes de financement et non des crédits qui ont été accordés. La plupart des crédits ne sont pas d’un montant très élevé et financent des projets. Cela étant dit, je ne les défends pas.

On ne finance pas des projets, il y a des prêts qui financent le budget de l’Etat, d’autres qui vont au remboursement du service de la dette, en fait ce ne sont pas des prêts pour relancer l’économie et améliorer l’investissement, le dilemme : est-ce qu’on va sortir de ce cercle grâce à vos propositions ?

Justement, le financement direct de février 2024 par la banque centrale n’a résolu qu’une partie du problème. Cela prouve que c’est insuffisant et que ça ne va pas le régler une bonne fois pour toutes. C’est du rafistolage. D’où la nécessité de modifier complètement la loi et d’offrir un cadre juridique homogène dans la gestion de la dette, qu’elle soit intérieure ou extérieure.

Si cette loi est adoptée, quelle sera son impact sur la BCT ? Les problèmes de l’Etat seront résolus mais qu’en est-il de la banque centrale ? Assurera-t-elle son rôle de préservation des équilibres monétaires ?

En fait, l’activité de financement du trésor public est très réglementée par cette loi. Le montant du financement direct par création monétaire non géré par la BCT qu’autorise cette loi est plafonné uniquement à 1% du PIB (on ne peut aller jusqu’à 2 ou 3% qu’après avis de la BCT et vote à l’assemblée).

A rappeler que nous avons un très bon ratio masse monétaire sur PIB, qui est de 80%.

Nous avons beaucoup de marge par rapport à d’autres pays, qui ont des ratios de 122% ou de 113,4% comme le Maroc ou la Jordanie, la moyenne mondiale étant aux alentours de 140%.

“En finir avec la spirale de l’endettement : la solution tunisienne.”

Bien sûr, ces 1% vont servir au remboursement du service de la dette qui n’est pas détenue par la banque centrale, ce qui va permettre un désendettement et, à long terme, diminuer l’inflation. Parmi ces 1%, une partie peut être orientée vers le financement de l’amélioration de l’infrastructure et des équipements de l’État (Titre II du budget).

D’ailleurs, le rôle des banques centrales est de créer de la monnaie pour financer les besoins des banques, qui à leur tour financent les projets des entreprises privées et l’économie. Qu’est-ce qui détermine la création monétaire ? (l’étalon-or n’existe plus depuis longtemps), c’est la création de la valeur ajoutée. Pourquoi la création de valeur ajoutée par création monétaire ex-nihilo dans les investissements de l’État devient elle problématique alors que pour les privés, il n’y a aucun problème ?

Cela provient de certains dogmes imposés dans le monde entier pour favoriser le surendettement des pays, leur enlever leur souveraineté monétaire.

“La Tunisie peut-elle se libérer de l’emprise des créanciers internationaux ?”

Actuellement, une fois que nous aurons adopté cette loi, les taux d’intérêt vont baisser. Cette loi va nous exempter d’un besoin d’endettement qui pourrait varier entre 15 et 20 milliards de dinars, voire plus, ce qui représente pratiquement 20% du budget de l’État et régler notre problème de financement.

Les fonds qui devaient aller vers le trésor vont rester auprès des banques, qui auront de la marge pour assurer leur rôle, c’est-à-dire financer la création de valeur auprès des entreprises privées.

Nous allons réintroduire des objectifs comme la croissance économique et le maintien du taux de change à la banque centrale, qui aura ainsi un cadre juridique pour s’activer et défendre les intérêts économiques du pays.

Nous allons diminuer le montant des intérêts versés par le trésor public chaque année, qui seront réorientés vers le financement de la relance de l’économie tunisienne. D’ailleurs, le nouvel amendement de la loi prévoit un article qui correspond à la mise en place d’une ligne de financement des fournisseurs de services et de biens tunisiens à l’État, qui ont déjà fourni ces services et n’ont pas été payés.

Cela a été déjà fait avec la BCT, on a dégagé des fonds pour couvrir les dettes des BTP, il y a eu un accord entre le ministère des finances, la fédération des BTP, et la banque centrale, et cela a marché ?

Il y a déjà un article sur les mesures d’accompagnement, qui prévoit cela, et à part cet article c’est un remboursement accéléré pour les entreprises qui sont encore en activité pour relancer leurs activités.

** Le 25 janvier 2024, le Conseil des ministres a approuvé un amendement au statut de la Banque centrale l’autorisant à accorder un prêt exceptionnel de 7 milliards de dinars à l’État, sans intérêts, sur une période de dix ans, avec une période de grâce de trois ans