26 ans à l’ANME, ce n’est pas peu ! Fathi Hanchi a rejoint l’Agence nationale de Maîtrise de l’Energie 13 ans après sa création. Pur produit de l’Agence, convaincu jusqu’à la moelle de l’importance de développer les nouvelles énergies pour réduire la dépendance énergétique de la Tunisie, le DG de l’ANME est fermement engagé dans sa bataille pour concrétiser les objectifs de l’État tunisien visant à renforcer la production des différentes énergies renouvelables avec pour but ultime des économies importantes sur les factures énergétiques du pays, des ménages et des entreprises !
Le point avec Fathi Hanchi, quelques semaines après la tenue de la première édition de DecarboMED, le Forum Méditerranéen de la Décarbonation
Des résultats immédiats après DecarboMed 2024 ?
Notre ambition est d’accompagner la dynamique mondiale de la décarbonation sachant qu’il y a une forte dynamique de la part, des gens des grandes entreprises internationales en termes de neutralité carbone à l’horizon 2050. J’explique : la chaîne de valeur équivaut en moyenne à 92% des émissions d’une entreprise et toutes les institutions s’accordent à dire qu’il faut user de toutes les technologies et leviers possibles pour lutter contre le changement climatique.
La décarbonation, dois-je le rappeler, représente un enjeu de compétitivité important pour les entreprises. Les entreprises tunisiennes à 60% exportatrices doivent dès maintenant préparer la transition vers un développement à bas carbone.
Nous avons organisé ce forum pour rassembler tous les acteurs nationaux et régionaux qui œuvrent pour la décarbonation et nous avons constaté un grand potentiel de coopération internationale et de réseautage que nous pourrions exploiter.
Le lead de l’ANME et de la Tunisie dans le domaine de la décarbonation a été apprécié et approuvé par les différents acteurs nationaux et internationaux. Ce n’est pas gratuit. Ils ont réalisé par eux-mêmes, les prédispositions de la Tunisie, État, écosystème et tissu industriel pour le développement des énergies renouvelables (E.R) et la réduction de l’usage des énergies fossiles.
Donc, il fallait en premier lieu organiser ce forum qui a abouti sur une vingtaine de recommandations dont la principale est l’usage des leviers de financement pour accélérer la démarche de décarbonation.
Pour les entreprises tunisiennes et celles de la région méditerranéenne particulièrement installées dans la rive sud, la question la plus importante n’est pas celle de la technologie mais plutôt les leviers financiers.
En Tunisie, malheureusement le coût financier de l’investissement dans les énergies durables est exorbitant. L’idée aujourd’hui est de trouver le moyen de mettre en place un système de financement accessible et favorable pour accompagner la démarche décarbonation de milliers d’entreprises engagées dans la transition énergétique et le développement durable.
C’est une démarche qui exige des financements importants. Donc, après le Forum, qui, a été, une réussite d’après les échos dont nous avons eu vent, nous avons entamé des discussions avec nos partenaires à propos du levier financement.
Nous préparons aujourd’hui notre participation à la COP 29 et nous profiterons de notre présence à cet évènement international pour soulever de nouveau la question des financements auprès de nos partenaires classiques et des bailleurs de fonds internationaux.
Nous ambitionnons la mise en place d’un revolving fund en Tunisie. Il s’agit de créer un nouveau fonds ou de transformer le fonds de transition énergétique en un fonds destiné à financer les mesures de décarbonation par des crédits octroyés à des taux encourageants ainsi que des subventions directes.
Il y a aussi la possibilité de mixer les crédits bancaires avec des crédits venant du Fonds de Transition énergétique (FTE) mais ce n’est pas suffisant en termes de ressources parce que les fonds du FTE ne vont pas suffire pour satisfaire les besoins de toutes les entreprises.
L’idée est d’adjoindre d’autres ressources au fonds existant ou de créer un fonds spécifique d’accompagnement. Et là, nous visons précisément les PME. Les grandes entreprises ont une capacité de mobilisation des Fonds même à l’international.
Concrètement, comment comptez vous récolter des fonds ?
Nous avons d’ores et déjà entamé les discussions avec les partenaires classique de la Tunisie, bien entendu, l’Union européenne mais aussi dans le cadre du projet power Tunisia, les États-Unis.
Nous discutons aussi avec le PNUD sur des plaidoyer communs et nous comptons profiter de la COP29 pour présenter notre démarche à un large éventail de financeurs potentiels. Il y a un point important à souligner est que la première édition de DecarboMED sera suivie d’une deuxième en Algérie et il y a des demandes de l’Italie de la France pour organiser les troisième et quatrième édition.
Donc le Forum fera le tour de la Méditerranée ce qui nous incite à creuser la réflexion sur la nécessité de la création d’un Fonds méditerranéen pour financer la décarbonation dans la région. La proposition commence à faire du chemin puisqu’à chaque fois que nous en parlons avec nos partenaires, nous trouvons du répondant.
Vous pensez que vos partenaires passeront rapidement de la réflexion sur la création du fonds à sa réalisation ?
Nos partenaires ont d’ores et déjà déclaré qu’ils vont mettre les moyens financiers nécessaires pour appuyer les démarches de décarbonation des pays tiers. L’UE avec le “mécanisme d’ajustement carbone aux frontières” (MACF) compte mettre en place des lignes de financement destinés aux pays tiers pour les accompagner dans la démarche de décarbonation.
Ce qu’il faut, c’est que nous, nous concevions des projets bien étudiés, argumentés et convaincants à leur proposer. Un fonds méditerranéen serait utile d’autant plus que les pays de la rive sud de la Grande Bleue sont engagés dans la lutte pour la réduction des gaz à effet de serre.
Il y aura des discussions sérieuses ces mois-ci et l’année prochaine sur cet aspect et en termes de timing, je crois qu’en 2025, il y aura des prises de décisions s’agissant de cet aspect.
La Tunisie précurseur dans la maîtrise de l’énergie et les énergies renouvelables est aujourd’hui à la traîne par rapport à ses voisions. L’Algérie dont le pays regorge de ressources minières commercialise d’ores et déjà l’hydrogène vert, l’Egypte et le Maroc ont beaucoup avancé dans la production des E.R ? Comment rattraper tous ces retards ?
Je ne suis pas d’accord avec vous. La Tunisie a certes pris du temps mais c’est pour bien étudier ses choix. Le modèle de la Tunisie, n’est pas celui de l’Algérie ou encore celui du Maroc ou de l’Égypte.
Les prochaines années montreront la pertinence de nos choix. Voyez vous si nous comparons les coûts et les prix des kilowatts, nous sommes deux fois moins chers que l’Égypte et de très loin moins chers où les prix sont 5 fois plus chers que nous.
C’est vous dire à quel point, l’aspect social est important pour nous, nous ne voulons pas produire des E.R pour ceux qui ont les moyens mais les démocratiser à travers des prix abordables.
Le Maroc est le premier pays à avoir une force de frappe importante dans les E.R mais il continuera à payer un prix exorbitant d’ici 20 ans. L’Algérie, elle, possède une grande force de frappe financière, elle a acheté des centrales toutes prêtes et rapidement opérationnelles, je parle là de 2 GW au comptant pour une réalisation qui ne dépasse pas les 12 mois.
S’agissant de la Tunisie, l’idée est de réaliser aujourd’hui ce que nous avons planifié. Nous avons programmé des installations et l’idée est d’accélérer leur réalisation. Je pense que d’ici fin 2025, nous assisterons à un décollage rapide de notre de notre programme E.R, les dernières signatures pour la construction de centrales photovoltaïque le prouvent. La volonté politique y est et c’est capital.
Qu’en est-il du cadre réglementaire ? Est-ce qu’il est encourageant ? Lorsque nous savons les entraves d’ordre foncier pour l’installation des centrales photovoltaïques ou encore les problèmes de raccordement avec le réseau de la STEG et celles pour le développement de l’éolien ?
La dernière publication au JORT (Journal officiel) concernant les projets qui vont de 1 à 10 mégawats lancés dans le cadre du régime d’autorisation et dans lesquels l’État tunisien fixe les tarifs. Je considère que c’est une avancée dans l’actualisation du cadre réglementaire car grâce à cette approche, nous allons pouvoir couvrir tout type d’investissement. C’est à dire, soit vous participez avec votre propre tarif où vous participez avec un tarif fixe et bien sûr vous pouvez choisir d’investir dans une centrale produisant jusqu’à 10 MW.
Donc, notre cadre réglementaire est évolutif et peut être amélioré au fur et à mesure du développement du secteur des E.R. Il y a aussi des réflexions sur l’autoproduction, d’autres sur des projets qui peuvent être portés par une société de projet ou SPV soit le « Special Purpose Vehicle », c’est-à-dire une entité légale détenant les actifs au sens comptable d’un projet : accès au foncier, installations et équipements, contrat de vente d’électricité, contrats de maintenance, assurances ou fonds propres et ce dans le cadre de la loi transversale.
Toutes ces évolutions et la démarche progressive du cadre réglementaire stimuleront le développement du secteur E.R dans notre pays.
Aujourd’hui, le foncier n’est plus une entrave, si vous voulez investir dans une centrale photovoltaïque, vous n’avez plus besoin d’un papier sur le changement de vocation du terrain et rappelez vous c’était une grande contrainte pour les opérateurs dans le secteur.
Le ministère est en train de mettre en place un cadastre des terres qui pourraient abriter des centrales photovoltaïques destinés aux investisseurs dans le secteur. Bien sûr il y a aussi tout un programme de renforcement du réseau conduit par la STEG, qui permettra d’absorber la production des E.R.
Pouvons nous parler d’une posture plus souple de la STEG par rapport à d’autres producteurs d’électricité ?
Je ne peux pas vraiment vous répondre mais la question de la mise en place d’un régulateur à l’instar de ce qui a été fait dans les télécommunications est très avancée.
Nous pouvons même parler de phase finale de mise en place et donc nous sommes tous convaincus que ce soit le ministère de Tutelle ou les différents acteurs, y compris la STEG qu’il est nécessaire, aujourd’hui, d’avoir un régulateur pour optimiser le secteur. Être orienté développement est gratifiant pour tout le monde.
Mettre en place un régulateur neutre permet de protéger le consommateur, de développer et d’optimiser les ressources du secteur en préservant les droits et prérogatives des uns et des autres. Ce fût le cas dans les Télécoms.
Qu’en est-il de la synergie entre les acteurs publics et privés, vous êtes dans le partenariat ou la guerre des prérogatives et des postures ?
La majeure partie de l’investissement dans les énergies renouvelables s’agissant des différents régimes est et sera réalisée par le secteur privé. Donc, nous ne pouvons pas nous permettre d’être dans une relation verticale. Tout ce qui a été fait jusqu’à maintenant s’est fait en concertation permanente avec le secteur privé.
D’ailleurs, vous avez dû le constater, lors du Forum DecarboMED, l’organisation a été parrainée par l’ANME et l’UTICA. Notre client final est l’UTICA et ce en termes de réduction des propres charges des entreprises ou de la mise en place d’un programme d’investissement à vocation commerciale.
Tout ce que nous faisons est réalisée en étroite collaboration avec l’UTICA et cette approche de concertation et de travail mutuel a donné ses fruits. Très souvent nos propositions coïncident et sont rapidement adoptées par les deux parties.
Qu’en est-il des ménages, ne trouvez vous pas que le recours aux E.R reste au dessus de leurs moyens ?
Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec vous. Nous avons démarré en 2010, mais le décollage s’est fait réellement en 2015. Après huit ans, 100.000 ménages ont installé des panneaux photovoltaïques pour presque 300 MW d’installations. Ceci reflète que tous ces ménages y trouvent leur compte car lorsqu’ils font leurs calculs s’agissant des dépenses énergétiques, ils réalisent qu’ils ont fait des économies.
Aujourd’hui si je ne dispose pas de fonds propres, je m’équipe en photovoltaïque et je couvre le prêt accordé grâce à la réduction de ma facture d’électricité, en réalité j’ai gagné sur tous les fronts, c’est vous dire.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali