Le président directeur général de la Pharmacie Centrale de Tunisie (PCT), Mehdi Dridi, a reconnu que l’institution traverse une crise de liquidités due à l’augmentation de la dette des caisses sociales et des hôpitaux publics à son égard, ce qui l’a contraint à réduire ses commandes en médicaments importés et à prolonger les délais de paiement de ses fournisseurs étrangers.
Cependant, dans une interview accordée à l’agence TAP, Dridi a estimé que la Pharmacie Centrale peut maintenir ses équilibres financiers et rembourser ses dettes envers les laboratoires internationaux, tout en garantissant l’approvisionnement en médicaments à condition de mettre en œuvre une série de réformes profondes, telles que la levée de la compensation sur les médicaments ayant un équivalent fabriqué en Tunisie et la rationalisation de la consommation de médicaments dans les hôpitaux.
Pour commencer, pouvez-vous nous donner une idée de la situation financière actuelle de la Pharmacie Centrale de Tunisie ?
La situation financière est difficile en raison de l’augmentation de la dette de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et des hôpitaux publics envers la Pharmacie Centrale.
À combien s’élèvent ces dettes ?
Le montant total des dettes de la CNAM et des hôpitaux publics est actuellement d’environ 1,1 milliard de dinars, réparti presque à parts égales entre les deux. En 2023, nos dettes auprès de la CNAM s’élevaient à environ 450 millions de dinars, et au cours des dix premiers mois de 2024, elles ont augmenté de plus de 120 millions de dinars.
Quelles sont les répercussions de ces dettes sur les engagements de la Pharmacie Centrale envers les fournisseurs étrangers ?
La dette accumulée a des répercussions directes sur nos engagements envers les fournisseurs étrangers. En effet, la PCT doit plus de 600 millions de dinars aux laboratoires internationaux et enregistre un retard de paiement de 12 à 13 mois.
Y a-t-il un lien entre la crise de liquidités et le manque de certains médicaments ?
Certes, le manque de liquidités oblige la PCT à réduire ses commandes auprès des fournisseurs étrangers et à baisser le stock de certains médicaments non vitaux. En conséquence, nous avons abaissé les stocks à environ un mois et demi pour certains médicaments au lieu de trois mois.
Nous sommes aussi dans l’obligation de ne pas importer des médicaments coûteux commandés et remboursés par la CNAM car leur coût dépasse le budget de la PCT.
Certains se plaignent de la pénurie de médicaments vitaux. Que répondez vous ?
Il est vrai que pour certains médicaments, le stock est faible mais l’absence carrément de stock n’est enregistrée que pour un nombre très minime de médicaments et ce, en raison de l’absence de réactivité rapide de la part des fournisseurs internationaux.
Toutefois, la PCT travaille en étroite collaboration avec le centre stratégique d’opérations sanitaires (Shoc room) du ministère de la santé, l’agence nationale des médicaments, l’observatoire national des médicaments et la CNAM pour assurer l’approvisionnement du marché en médicaments.
“La dette de la CNAM et des hôpitaux met en péril l’approvisionnement en médicaments en Tunisie.”
D’ailleurs, la PCT dispose d’un stock stratégique suffisant en médicaments vitaux (comme l’insuline à titre d’exemple) pour une période allant de 6 à 9 mois.
La Pharmacie Centrale recourt-elle aux emprunts bancaires pour rembourser ses dettes envers les laboratoires internationaux ?
Cette solution est possible mais elle ne résout pas le problème. En 2018 et 2019, la PCT avait eu recours aux banques pour réduire ses dettes envers les fournisseurs étrangers mais après quelques années le problème a resurgi puisque la dette de la CNAM et des hôpitaux publics a continué d’augmenter alors qu’aucune réforme radicale n’a été introduite.
Quel est le montant de la compensation prise en charge par la Pharmacie Centrale?
En 2023, le montant de la compensation sur les médicaments pris en charge par la PCT s’est élevé à environ 190 millions de dinars, et il devrait rester le même en 2024 sachant qu’au cours des cinq dernières années ce montant est resté stable entre 190 et 210 millions de dinars.
Quelles sont les solutions pratiques pour résoudre la crise de liquidités ?
Les solutions sont diverses et multiples pour résoudre cette crise mais il convient de trouver les moyens de leur exécution. Il s’agit par exemple, de réduire le volume de la compensation sur les médicaments non vitaux qui ne nécessitent pas de subvention. Dans ce contexte, l’Etat est appelé à compenser uniquement les médicaments vitaux importés qui n’ont pas d’équivalents en Tunisie.
Il convient aussi d’assurer une gestion plus rationnelle des stocks de médicaments dans les hôpitaux. Par exemple, l’hôpital Habib Thameur a mis en place un système de gestion numérique des médicaments qui a permis de réduire la consommation de près de 50 %.
“Les médicaments génériques, une clé pour réduire les coûts et assurer la disponibilité des médicaments.”
Parmi les autres solutions radicales, la bonne gouvernance des transactions avec la CNAM à travers la mise en place d’une cadre légal clair pour garantir le paiement régulier de la PCT afin qu’elle puisse honorer ses engagements financiers envers les fournisseurs étrangers et assurer la disponibilité des médicaments.
La promotion de la production pharmaceutique en Tunisie et la sensibilisation des médecins et des citoyens à la nécessité de consommer les médicaments génériques produits en Tunisie ainsi que l’amélioration des méthodes de négociation directe pour l’achat de médicaments auprès des firmes internationales en dehors des appels d’offres sont aussi des solutions efficaces permettant de résoudre la crise financière de la PCT.
Le projet de loi de finances pour 2025 propose une exonération des taxes sur les médicaments importés. Que pensez-vous de cette proposition ?
Cette mesure pourrait, selon nos experts, permettre à la Pharmacie Centrale d’économiser environ 40 millions de dinars, mais elle n’est pas une solution radicale. D’ailleurs, cette mesure n’encourage pas la production locale puisqu’il serait plus judicieux de lever la compensation sur les médicaments ayant un équivalent en Tunisie et d’engager des réformes radicales pour préserver les équilibres financiers de la PCT.
Comment évaluez-vous le secteur de l’industrie pharmaceutique en Tunisie ?
C’est un secteur prometteur mais l’investissement dans la recherche et le développement reste limité. Il est nécessaire de promouvoir davantage la production de médicaments innovants et de vaccins pour atteindre l’autosuffisance et accéder aux marchés extérieurs, notamment en Afrique.
A noter que dans une déclaration précédente à l’agence TAP, le PDG de la PCT avait indiqué que le taux de pénétration des médicaments génériques et biosimilaires en Tunisie est estimé à 55% alors que ce taux atteint les 80 voire les 90% dans les pays riches.
Mehdi Dridi avait qualifié la consommation tunisienne de médicaments génériques de faible.
“La gestion des stocks de médicaments dans les hôpitaux doit être optimisée.”
Selon le responsable, dans le cadre du partenariat avec la banque mondiale et l’organisation mondiale de la santé (OMS), la politique de financement des médicaments en général est en cours de révision.
“Nous nous orientons vers la prescription des médicaments en DCI (dénomination commune internationale) de façon à donner au pharmacien la possibilité de substituer directement”.
Selon la même source, des études pharmaco économiques ont prouvé que rien que rémunérer le pharmacien pour la dispensation d’un médicament générique diminue d’une façon très conséquente et donne des outils au pharmacien pour sensibiliser le malade ce qui aura systématiquement un impact positif sur la réduction des coûts des médicaments et la garantie de leur disponibilité ainsi que sur l’ensemble du système de santé.