Dans la foulée de ses récentes visites inopinées et sa quête des niches de corruption qui gangrène le pays, le président de la république Kaïes Saïed semble se focaliser, particulièrement, sur la mauvaise gestion du patrimoine archéologique du pays. Son suivi de la restauration des bassins aghlabides à Kairouan en est une parfaite démonstration.
Cet intérêt pour la sauvegarde du patrimoine archéologique est pleinement justifié aux yeux du chef de l’Etat en ce sens où la valorisation de notre patrimoine, de par sa richesse, constitue un levier très important de la politique du compter sur soi que Kaies Saied a tendance à ériger en modèle de développement.
Pour comprendre le bien fondé de cette orientation, il suffit de se référer aux énormes avantages économiques dont des pays comme l’Italie, l’Egypte, la France, la Chine… ont su tirer de la mise en valeur de leur patrimoine archéologique. Cette manne historique est érigée dans ces pays au rang de ressource stratégique» pour appuyer leur économie, créer des emplois et surtout faire rentrer de précieuses recettes touristiques en devises. Est il besoin de rappeler, ici, que le tourisme archéologique est de loin beaucoup plus rentable que le tourisme balnéaire ?
Les avantages du tourisme culturel sont énormes
A titre indicatif, il suffit de visiter le site de Pompei en Italie pour se rendre compte de visu comment les Italiens ont su faire de cette ancienne ville romaine, ensevelie après l’éruption du volcan Vésuve en 79 av. J.-C, un site touristique attractif et fort rémunérateur. Des centaines de milliers de touristes, munis d’un simple audio-guide (baladeur audio qui vient remplacer le traditionnel guide touristique), se bousculent chaque jour pour visiter ce site bien conservé.
Au Caire en Egypte, les pyramides sont mises en valeur grâce aux spectacles grandioses « sons et lumières». Depuis les années 70, les touristes affluent par millions pour assister à ces spectacles.
“La valorisation du patrimoine archéologique est un levier essentiel pour le développement économique de la Tunisie.”
C’est pour dire simplement que c’est frustrant de constater qu’après plus de 67 ans d’indépendance, les gouvernants tunisiens – notamment l’armada des ministres de la culture et du tourisme-, qui se sont succédé à la tête du pays n’ont pas réussi à valoriser les vestiges archéologiques du pays et à en faire une source de richesse.
Des monuments historiques en Tunisie, comme l’amphithéâtre de Carthage, le cirque romain d’El Jem (connu sous le nom de Théâtre de Tisidros), l’amphithéâtre de Sbeitla, l’aqueduc de Zaghouan, les sites de Dougga, Chemtou, Bulla Rejia, Maktaris, Haydra, Bassins aghlabides à Kairouan…, autant de sites prestigieux encore bien conservés peuvent facilement être valorisés et connaître le même essor que les pyramides d’Egypte, le Colisée de Rome et Pompei en Italie, la Grande muraille en Chine…
Pour mesurer notre retard, le Colisée de Rome reçoit, chaque année, 8 millions de touristes contre seulement 500.000 touristes pour l’amphithéâtre d’El Jem, pourtant le second amphithéâtre romain en Afrique.
Il a fallu un don américain pour restaurer l’amphithéâtre d’El Jem
D’ailleurs, c’est seulement en 2024, et à la faveur d’une assistance financière américaine que le dossier de la valorisation de l’amphithéâtre d’El jem qui peut accueillir jusqu’à 35 mille personnes, vient d’être dépoussiéré.
En dépit de la disponibilité de cette aide financière, un don de quelque 430.000 dollars (près de 1,227 million de dinars tunisiens), fournis, depuis 2019-2020 –bien 2020-, par le Fonds américain des ambassadeurs pour la préservation culturelle (AFCP), les bureaucrates tunisiens en charge du dossier de la valorisation du patrimoine archéologique relevant du ministère de la culture n’ont décidé de se démener et de restaurer l’amphithéâtre d’El Jem qu’au mois de novembre 2024.
“L’amphithéâtre d’El Jem, un joyau archéologique, mérite d’être mis en valeur à l’instar des sites italiens ou égyptiens.”
Redoutant, semble t-il, l’ire du Président de la république Kaïes Saïed, qui mène, depuis sa réélection, le 6 octobre 2024, une bataille sans merci contre les retards souvent injustifiés qu’accusent des projets publics en dépit de la disponibilité des financements et le sentant venir, tout le staff en charge de la gestion du patrimoine archéologique a fait, ces derniers jours, le déplacement à Mahdia pour annoncer, lors d’une réunion, le démarrage imminent de la réhabilitation de l’amphithéâtre d’El Jem.
Il s’agit de la directrice générale du patrimoine, Chiraz Saîd, la directrice générale de la gestion de l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de la promotion culturelle (AMVPPC) et le Directeur général de l’Institut national du patrimoine (INAP), Tarek Baccouche.
Empressons nous de signaler que le communiqué de presse publié à l’issue de cette réunion ne signale aucunement l’apport financier américain.
Les composantes du projet de restauration
Qu’à cela ne tienne, dans le détail, les travaux annoncés consisteront pour l’AMVPPC en la construction d’une clôture pour protéger le monument, l’édification d’un local à l’extérieur de l’amphithéâtre équipés selon les normes requises (accueil, sanitaire, installation métalliques pour la protection des visiteurs et spectateurs, aménagement de l’accès à l’amphithéâtre…). Mention spéciale pour l’éclairage (lumière artistique), la composante la plus importante de notre point de vue, il a été décidé de charger un bureau d’étude pour étudier la faisabilité technique du projet avant le lancement des appels d’offres et l’achèvement des procédures administratives….
“Le tourisme culturel est une source de revenus importante qui peut créer de nombreux emplois.”
Quant à l’INAT, il se chargera de la restauration et l’entretien de certains des murs fissurés conformément aux normes internationales reconnues, la construction d’un ascenseur panoramique, nouvelle façon contemporaine de découvrir un patrimoine millénaire.
Dans une première phase, les travaux se dérouleront dans le sous-sol antique. Une équipe composée d’ouvriers spécialisés, de techniciens, de conservateurs et d’experts, se penche sur les problèmes de l’infiltration de l’eau, de l’humidité et de la remontée capillaire qui ont gravement endommagé la pierre antique et toutes les composantes architecturales romaines.
Dans une deuxième phase, l’équipe de conservation-restauration, procèdera au nettoyage et traitement des pathologies en éliminant les lichens, les sels et les micro-organismes avant toute restauration de la pierre.
Attention, ils cherchent déjà à se déresponsabiliser
Pour notre part, tout en saluant cette décision de restaurer le théâtre de Tisidros et d’en faire un levier pour booster le tourisme culturel dans le pays, nous ne pouvons pas nous interdire d’attirer l’attention sur certains alibis et excuses formulés, déjà, par les bureaucrates précités pour se déresponsabiliser au cas où ce projet de restauration serait bloqué. Et pour cause.
Ainsi, pour l’AMVPPC l’appel d’offre pour la mise en place d’un système d’éclairage artistique (similaire à celui de Sons et lumières) ne sera possible qu’après l’achèvement des études de sa faisabilité et qu’en fonction de sa conformité aux procédures administratives ?
Pour sa part, l’INAT relève que la réalisation d’un ascenseur panoramique ne sera possible qu’après avoir obtenu l’approbation de l’UNESCO, considérant qu’il s’agit d’un monument historique et culturel.
Tout semble indiquer que le staff en charge de la gestion du patrimoine archéologique, pour masquer son immobilisme s’ingénie à inventer des justificatifs. Avant c’était le manque de moyens budgétaires, aujourd’hui, c’est les autorisations…
Abou Sarra