Ville de Tunis
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Parmi les reproches faits, ces dernières années, à l’intelligentsia tunisienne figure celui de ne pas avoir étudié profondément, les raisons qui avaient provoqué les émeutes des mois de décembre 2010 et janvier 2011, s’agissant, particulièrement, des disparités régionales.

Une quinzaine d’années après, la situation générale du pays, par l’effet de la persistance criante du déséquilibre régional entre l’est et l’ouest du pays, présente les mêmes symptômes d’un climat insurrectionnel lequel pour peu qu’on ne fait rien pour y remédier, risque cette fois ci, de générer des dérapages incontrôlables.

Les conclusions du rapport annuel 2024 du Think Tank, l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE), sur l’attractivité régionale sont édifiantes à ce sujet.

Se référant à des données collectées de 2022 à 2023, ce rapport, qui met en lumière la compétitivité des 24 gouvernorats du pays, évalue la capacité des régions à attirer et à retenir des investissements, des entreprises, et des talents, en s’appuyant sur sept critères clés.

Il s’agit des critères ESG (Environnement, Social et Gouvernance), l’infrastructure, la santé et l’éducation, l’inclusion financière, le marché du travail, le dynamisme des affaires, ainsi que l’innovation et l’adoption des technologies de l’information.

Le rapport, qui évalue chaque gouvernorat sur un ensemble de 67 variables quantitatives et qualitatives, met en exergue les disparités régionales. En voici l’essentiel.

Performance régionale par des leviers d’attractivité

Concernant le levier d’attractivité, critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) : le gouvernorat de Tunis arrive en tête, tandis que Kairouan et Kasserine ferment la marche.

Au rayon de l’infrastructure et de l’urbanisation : Tozeur se distingue avec un score élevé, tandis que Sidi Bouzid et Kairouan sont loin derrière.

En matière de santé et d’éducation, la capitale, Tunis arrivé une autre fois en tête. Elle est talonnée par deux autres villes côtières : Sousse et Monastir.

S’agissant du critère d’évaluation, l’inclusion Financière, les régions du sud, Tataouine et Médenine affichent de bons scores, apparemment par l’effet de la contrebande, contrastant avec les faibles performances des régions de La Manouba et Sidi Bouzid.

“Le développement n’est pas un arbre qui pousse tout seul, c’est un jardin qu’il faut cultiver avec soin.”

Au sujet du marché du travail, le gouvernorat de Ben Arous, une région spécialisée dans les industries manufacturières, arrive en tête, tandis que des régions intérieures du Nord ouest comme le Kef et Siliana souffrent d’un marché moins dynamique.

S’agissant du levier dynamisme des Affaires, Sfax, fidèle à son habitude, se démarque et se hisse au premier rang alors que Tataouine peine à continuer à accuser du retard en matière de développement économique et des affaires, et ce en dépit, de son aisance financière signalée plus haut.

Dans le domaine de l’innovation et des TIC, les gouvernorats de Tunis et l’Ariana avec le parc technologique d’El Ghazala « Silicon Valley tunisienne » font preuve de dynamisme notable, contrastant fortement avec Kasserine, dernière du classement.

Classement des régions

Selon le classement établi par ce rapport, les régions les plus attractives, en l’occurrence, Tunis, Sfax et Sousse sont toujours littorales tandis qu’en queue du peloton, on trouve des régions de l’intérieur du pays : Kasserine et Kairouan à l’ouest du pays.

Le gouvernorat de Tunis se distingue en tête du classement avec un score global de 5,387 sur 10, grâce notamment à sa supériorité en matière de santé, d’éducation, et d’inclusion financière.

“L’égalité des chances, c’est l’assurance que chaque région puisse exprimer tout son potentiel.”

Globalement, à l’exception de Tunis, tous les autres gouvernorats enregistrent un score moyen inférieur à 5, soulignant une attractivité encore limitée à l’échelle nationale.

Le Grand Tunis, Tozeur, ainsi que les gouvernorats du littoral comme Sfax et Sousse figurent également parmi les plus attractifs.

En revanche, Kasserine ferme la marche avec un score de 1,355, révélant un déséquilibre régional persistant depuis des décennies.

Trois pistes à explorer pour un meilleur équilibre régional

Les auteurs du rapport de l’IACE sur l’attractivité régionale ont eu le mérite d’avoir proposé des pistes à explorer pour remédier au déséquilibre régional et stimuler l’attractivité des régions sous développées. Au nombre des réformes proposées, il y a lieu de citer :

-Le désenclavement des régions. La démarche à suivre serait d’investir dans des infrastructures multimodales : routes, réseaux ferroviaires, fibre optique…..

– L’amélioration de la qualité de vie. Il s’agit d’investir dans les services de santé et d’éducation de qualité, équivalents à ceux des grandes villes du littoral. L’option pour de tels investissements, note le rapport,  serait un levier majeur pour retenir les compétences dans les régions moins développées.

– La promotion de l’image régionale. L’enjeu serait de mettre en œuvre des stratégies de notoriété territoriale, accompagnées de programmes de financement, pour améliorer la perception des régions et attirer de nouveaux investissements.

Des mégaprojets pour désenclaver l’ouest du pays

Abstraction faite de ces chiffres et données qui viennent confirmer la persistance du déséquilibre régionale et de la littoralisation des investissements lourds (construction de cinq stations de dessalement d’eau de mer…), il faut reconnaître que de louables efforts sont menés pour désenclaver l’ouest du pays et y améliorer les conditions de vie. Quelques mégaprojets méritent d’être signalés.

Dans le domaine de la santé, il y a lieu de citer le mégaprojet présidentiel de la Cité médicale de Kairouan et la programmation de plusieurs établissements hospitaliers multidisciplinaires à Gabès, Gafsa, Kasserine…

“Le développement durable, c’est un développement qui profite à tous, partout.”

A retenir également, en matière d’industrie non manufacturière, la reprise des activités minières au nord du pays avec l’octroi de permis d’exploration phosphatière.

Et pour ne rien oublier, la connectivité en matière d’infrastructure sera améliorée à la faveur de deux grands projets en cours de réalisation : l’autoroute Tunis- Jelma (sidi Bouzid) sur 200 kms environ et la réalisation du projet de dédoublement de la route nationale n°13 dépendant des villes de Kasserine à Sfax passant par Sidi Bouzid et Kairouan, et ce sur 200 kms également…

Abou SARRA

En bref : L’attractivité régionale, un enjeu national majeur
Les disparités régionales en Tunisie demeurent un obstacle majeur au développement équilibré du pays. Selon le rapport 2024 de l’IACE, les gouvernorats littoraux comme Tunis, Sfax et Sousse restent les plus attractifs grâce à leur dynamisme économique et leurs infrastructures. À l’opposé, Kasserine et Kairouan accusent un retard criant, notamment en matière d’innovation et de gouvernance.

Pour combler ces écarts, trois pistes clés sont proposées :

  • Désenclavement par des infrastructures multimodales.
  • Qualité de vie équivalente à celle des régions côtières.
  • Valorisation des territoires pour attirer les investissements.

Des projets tels que l’autoroute Tunis-Jelma et la Cité médicale de Kairouan marquent un début prometteur, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour réduire ces inégalités historiques.