A travers une enquête de terrain sur la situation des femmes “Barbechas“, à Tunis, l’Union Nationale de la Femme Tunisienne (UNFT), ONG qui œuvre à améliorer le statut de la femme depuis 1956, a attiré l’attention sur une des plus grandes iniquités sociales. Celle que subissent dans le silence les chiffonnières, une catégorie professionnelle féminine qualifiée par les sociologues, “parmi les plus précaires, les plus vulnérables et les plus stigmatisées qui existent en Tunisie”.
Effectivement, en dépit du fait qu’elles nettoient la capitale et font, ainsi, œuvre utile, les chiffonnières, qui vivent du ramassage des plastiques et autres produits recyclables, sont, jusqu’à ce jour, privées de toute reconnaissance administrative, relève l’enquête.
Première révélation quantitative de l’enquête: cette catégorie de femmes est la plus fragile d’un secteur où prédominent les hommes.
“Elles nettoient la capitale mais restent invisibles aux yeux de la société.”
Au nombre de 8000 environ dont 79% sont âgées de plus de 40 ans, les femmes Barbechas, ne bénéficient d’aucune protection et d’aucun des droits sociaux (couverture médicale, retraite…) octroyés aux métiers dotés d’un statut légal.
En plus clair, les femmes Barbechas, ces silhouettes familières urbaines mal fagotées qui sillonnent les rues de Tunis, pour collecter, jour comme de nuit, des bouteilles en plastique, subissent en silence l’exploitation des intermédiaires de l’industrie du recyclage.
Seules des ONG viennent en aide aux femmes Barbechas
A l’exception de l’assistance multiforme que leur apportent des associations féminines et l’ONG International Alert qui soutient le projet sur le plan logistique, les femmes Barbechas de Tunis sont livrées à elles mêmes. Elles font flèche de tout bois pour survivre. C’est désormais leur quotidien.
“99% des femmes ‘Barbechas’ sont analphabètes, mais elles portent le poids du recyclage urbain.”
Mention spéciale pour l’assistance de l’ONG Alert qui a créé, à la Cité populaire Ettadhamen (ouest de Tunis) une micro-unité industrielle pour acheter, chaque jour, aux femmes barbechas les déchets ramassés, avant de procéder à leur broyage, une étape qui précède leur recyclage industriel.
Mieux, l’ONG assure aux femmes Barbechas un minimum d’équipements de protection sanitaire et hygiénique : Vaccination anti-tétanique, gants…
99% des femmes Barbechas sont analphabètes
D’après Maha Bergaoui, membre du bureau exécutif de l’UNFT, qui a présenté les résultats de l’enquête, 99% de l’échantillon des 116 femmes Barbechas sondées sont analphabètes ou illettrées. Seul 1% d’entre elles ont un niveau supérieur.
Autres révélations de l’enquête: 62% de ces femmes exercent de manière permanente ce métier. Pour 77% des enquêtées, ce métier est leur unique source de revenu, 37% exercent ce métier durant 7 heures par jour et 44% transportent à dos les déchets ramassés.
Plaidoyer pour une assistance multiforme aux chiffonnières du pays
Au rayon des pistes à explorer pour améliorer la situation de cette gente féminine extrêmement précarisée, les auteurs de l’enquête recommandent, au titre de la santé et de la protection sociale, de leur fournir des carnets de soins gratuits et de faciliter leur accès aux services médicaux.
Concernant leur autonomisation financière, compte tenu de la non-bancabilité des femmes Barbechas, ils suggèrent aux autorités de les aider à accéder au microcrédit.
Au plan réglementaire, ils plaident pour la promulgation d’une législation devant réglementer leur activité et leur garantir la possibilité de jouir, tout comme les autres corps de métiers, de leurs droits socio-économiques, particulièrement, d’une couverture sociale appropriée.
“Ces femmes ramassent nos déchets, mais qui les ramassera quand elles tombent ?”
Par delà les révélations de cette enquête, il semble que la publication de ses résultats tombent à point nommé. Et pour cause. L’exécutif, particulièrement, le président de la république Kais Saied est de plus en plus sensibilisé aux conditions précaires dans lesquelles travaillent les femmes ouvrières. A preuve, il vient de parrainer, à cette fin, un article de la loi de finances 2025, celui de créer un fonds pour la protection sociale des ouvrières agricoles.
Dans un souci d’équité sociale, le chef de l’Etat peut faire autant pour les femmes Barbechas lesquelles sont aussi victimes du mal-développement.
Abou SARRA
En bref :
Les femmes “Barbechas” de Tunis, chiffonnières invisibles mais indispensables, incarnent l’une des plus grandes inégalités sociales en Tunisie. Une enquête réalisée par l’Union Nationale de la Femme Tunisienne (UNFT) met en lumière leur précarité : malgré leur contribution essentielle au recyclage urbain, ces 8 000 femmes, dont 79% ont plus de 40 ans, restent privées de tout droit social et protection juridique. Analphabètes à 99%, elles subissent exploitation et stigmatisation tout en travaillant jusqu’à sept heures par jour.