Les politiques de la Banque mondiale (BM) en Tunisie dans les domaines de l’eau et de l’assainissement ont toujours favorisé les projets qui pourraient devenir des cibles pour la privatisation au détriment des droits fondamentaux, c’est ce qui ressort d’une analyse qui vient d’être publiée par l’Observatoire Tunisien de l’Eau.

Cette analyse intitulée “Politiques de la Banque mondiale dans les domaines de l’eau et de l’assainissement en Tunisie : Priorité à la privatisation au détriment des droits fondamentaux” a été élaborée en 2023, par Houcine Rhili, chercheur et universitaire tunisien, spécialisé dans les questions de développement et de gouvernance des ressources.

Dans cette analyse, Rhili souligne que la crise de l’eau en Tunisie est une crise structurelle, dont l’axe principal est l’échec des politiques publiques et des choix économiques appliqués dans ce domaine. Quant à l’assainissement, ce service public reste encore un luxe puisque le nombre des municipalités prises en charge par l’ONAS ne dépasse pas 193, sur un total de 350 communes à l’échelle nationale. Les services d’assainissement sont par ailleurs concentrés dans les zones côtières et touristiques.

Partant d’une synthèse des financements octroyés par la BM pour des projets en Tunisie, notamment dans les domaines de l’eau et de l’assainissement et d’une analyse de la nature des projets financés, Rhili considère que les politiques de la BM en Tunisie ont notamment servi à encourager les investisseurs privés locaux et étrangers à exploiter les zones irriguées aménagées grâce à des prêts de la BM, afin de répondre aux besoins de l’étranger. Ces politiques ont aussi servi à concentrer les financements sur les infrastructures majeures pour la gestion de l’eau et l’assainissement, car ces projets pourraient devenir des cibles pour la privatisation, sans accorder de prêts à des projets de services directs aux citoyens dans les domaines de l’eau potable, et aux petits agriculteurs pour l’irrigation. L’appui technique et logistique et les études sectorielles ont par ailleurs, été orientés vers la privatisation des secteurs de l’eau et de l’assainissement.

“Ces politiques ont eu des impacts importants, directs ou indirects, sur la population aux niveaux économique et social. En effet, ces stratégies, conjuguées à l’abandon progressif par l’État de son rôle social fondamental lié aux services de l’eau et de l’assainissement, ont eu des effets significatifs sur l’augmentation des prix de l’eau potable ainsi que sur la détérioration de la qualité des eaux à cause du manque d’investissements publics dans les travaux de renouvellement des principaux réseaux d’acheminement et de distribution”.

“Ces politiques ont aussi contribué à l’augmentation des dépenses des familles tunisiennes destinées aux services de gestion de l’eau et l’assainissement ainsi qu’à la baisse de la production de produits de base comme les céréales, le fourrage, les légumes et les fruits, au cours des dernières années, en raison de la diminution des stocks d’eau dans les barrages et de l’aggravation du stress hydrique des nappes souterraines”.

Elles ont, en outre, favorisé “la fragilisation des écosystèmes, due au rejet des eaux usées traitées mais non conformes aux normes, ou sans traitement dans la plupart des petites municipalités, ce qui a augmenté les risques environnementaux qui menacent ces écosystèmes fragiles, alors même que les impacts des changements climatiques sont de plus en plus prégnants”.

Toutefois, “si la Banque mondiale a pu, à travers ses prêts et politiques officielles ou dissimulées, pousser les autorités tunisiennes à privatiser une partie des services d’assainissement, et couronner enfin ses efforts par la mise en œuvre, en mai 2023, du projet de partenariat entre les secteurs public et privé, elle n’a en revanche pas réussi à privatiser le secteur de l’eau en général, pas même celui de l’eau potable, et ce grâce au travail considérable accompli par les associations de la société civile, les organisations progressistes et les partis démocratiques, notamment au cours de la dernière décennie” conclut-il.