IngénieursLe ministère de l’Enseignement supérieur vient de publier un livre blanc présentant une stratégie nationale pour la réforme des cursus de l’ingénierie dans notre pays.

L’Orientation Stratégique 3 (OS3) du Système de Formation d’Ingénieurs (SFI) vise à adapter les formations aux besoins de la société tout en intégrant les concepts de durabilité et d’innovation.

Dans la préface de l’ouvrage, on en parle comme étant “le fruit d’une réflexion approfondie, menée avec la participation de divers acteurs du secteur éducatif, industriel et gouvernemental. Il se veut une feuille de route pour l’avenir, offrant des recommandations, des orientations stratégiques et des perspectives pour moderniser et renforcer la formation d’ingénieurs dans notre pays”.

Le Livre Blanc n’a pas eu l’unanimité des observateurs de la scène de l’ingénierie et ce qu’il s’agisse d’ingénieurs ou d’experts résidant sur le sol national ou des élites tunisiennes sises à l’étranger. Entre autres reproches aux concepteurs, le fait d’écarter de la réflexion approfondie -à l’exception de l’Atuge (Association tunisienne des grandes Écoles) -des élites tunisiennes établies dans les quatre coins du monde et au fait de toutes les innovations et découvertes advenues dans les pays les plus avancés sur le plan technologique.

L’association franco-Tunisienne Reconnectt a organisé, à l’occasion, un webinaire intitulé “Innover au national, concurrencer à l’international, comment doit être la prochaine génération des ingénieurs tunisiens” qui fera l’objet d’un papier.

Mais d’abord voyons les grandes lignes du livre blanc qui propose une évaluation détaillée de l’état actuel de la formation d’ingénieurs en Tunisie tout en identifiant les défis et les opportunités d’amélioration.

50 ans, rien que ça, c’est l’âge du système de formation tunisien aux disciplines de l’ingénierie. Un système qui a connu une diversification importante et qui fait face à des enjeux tels que l’amélioration de la qualité des formations, l’intégration des nouvelles technologies, et la nécessité d’ancrer davantage la formation dans les réalités industrielles et économiques.

“Former des ingénieurs sans une vision stratégique claire, c’est comme construire un édifice sans plan : on risque de s’effondrer face aux défis du futur.”

 

Le Livre Blanc appelle à une réforme stratégique pour moderniser les programmes, renforcer les infrastructures et améliorer la gouvernance au sein des établissements de formation.

L’ouvrage souligne l’importance d’une collaboration étroite entre les institutions académiques, le secteur industriel et les acteurs gouvernementaux pour mieux répondre aux besoins du marché.

Pour cela, il propose d’intégrer des compétences transversales et de renforcer l’apprentissage pratique, tout en engageant les étudiants dans leur parcours académique.

Le Livre Blanc plaide également pour une réflexion éthique et durable, invitant les futurs ingénieurs à prendre en compte les enjeux environnementaux et sociétaux dans leur pratique professionnelle. Il appelle aussi à l’action tous les acteurs concernés afin de créer un système inclusif et innovant qui non seulement respecte les standards internationaux mais anticipe également les défis futurs.

En encourageant l’apprentissage tout au long de la vie et en favorisant l’innovation, le rapport vise à préparer les ingénieurs tunisiens à être des acteurs compétitifs sur la scène mondiale, contribuant ainsi au développement économique du pays.

“Un système éducatif qui ne s’adapte pas aux révolutions technologiques condamne ses diplômés à devenir des spectateurs plutôt que des acteurs du progrès.”

 

Pour y parvenir, plusieurs actions stratégiques sont mises en place, comme l’engagement des entreprises dans la conception des programmes et l’amélioration de la pertinence des offres de formation.

L’objectif est de renforcer le lien entre le monde académique et l’industrie afin de favoriser l’employabilité des diplômés et de contribuer au développement économique et social. L’OS3 a pour but de garantir que les ingénieurs formés possèdent les compétences nécessaires en adéquation avec les besoins du marché. Des collaborations étroites entre les établissements de formation et les entreprises sont essentielles pour adapter l’offre pédagogique.

L’intégration de concepts tels que le développement durable et la transformation numérique dans les programmes de formation est primordiale. Des modules sur les compétences transversales, incluant l’éthique et la responsabilité sociétale, devraient être intégrés dans les curriculums. On y parle également de la création d’événements et de forums favorisant les échanges entre académiques et industriels, soit une condition importante pour recueillir des retours d’expérience.

L’apprentissage tout au long de la vie est encouragé pour que les ingénieurs s’adaptent aux évolutions technologiques. Le SFI mettra en place une structure de veille socio-économique afin de suivre les besoins du marché et d’ajuster les formations en conséquence.

Une stratégie par rapport à quoi et basée sur quoi ?

L’Orientation Stratégique 3 proposée dans le livre blanc est adossée à 3 grands axes :

  • Adapter les formations aux besoins sociaux et économiques : garantir que les programmes d’ingénierie répondent aux exigences actuelles et futures du marché de l’emploi et de la société, en intégrant les préoccupations de durabilité et d’innovation.
  • Renforcer les liaisons académiques et industrielles : accroître la collaboration entre les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises pour concevoir des programmes qui préparent efficacement les étudiants aux réalités du monde professionnel.
  • Promouvoir l’apprentissage permanent : encourager les diplômés à continuer à se former tout au long de leur carrière pour s’adapter aux transformations technologiques et aux évolutions du marché.

Ces objectifs s’inscrivent dans un cadre plus large visant à améliorer la qualité et la pertinence de la formation d’ingénieurs, en tenant compte des retours d’expérience et des évolutions sociétales.

“L’ingénierie est au cœur des grandes mutations économiques et industrielles. Si nous ne dotons pas nos ingénieurs des outils du XXIe siècle, nous nous enfermons dans une logique de retard perpétuel.”

 

Tout cela est bien beau, toutefois, quelques questions se posent :

  • les cursus de l’ingénierie ne doivent-il pas obéir à une vision de l’État loin de toute gesticulation économique et carence stratégique ?
  • le livre blanc sur lequel ont planché comme précisé par le ministère des experts, des enseignants, des “Atugéens” et des industriels est-il l’expression de la volonté de l’État de mettre la Tunisie sur l’orbite des avancées technologiques extraordinaires de par le monde, ou tout juste un ouvrage publié pour honorer un engagement financier et pour dire que malgré tout, nous pensons l’avenir du pays ?
  • Hakim Bellagha, ingénieur évoluant dans le secteur énergétique parle d’inachevé- article à publier- et d’archaïsme administratif. D’où une autre grande question, la réflexion menée dans le cadre du livre blanc répond-elle aux choix stratégiques de l’État en matière de développement technologique et d’innovation ?
  • la formation des ingénieurs se conjugue-t-elle avec les objectifs stratégiques de l’État, visant à doter les diplômés des compétences nécessaires pour soutenir des secteurs clés de l’économie et favoriser la croissance et la compétitivité nationale parce qu’in fine nous ne pouvons pas continuer à n’être que des fabricants de matière grise au service des autres États ?
  • loin des discours théoriques, l’État tunisien se donne-t-il les moyens d’investir dans les technologies les plus avancées ?
  • les laboratoires de recherches dans les institutions universitaires sont-elles équipées comme il se doit pour former les étudiants aux technologies les plus pointues existant aujourd’hui sur la scène mondiale ? Nous pouvons citer l’intelligence artificielle, la technologie blockchain, La 5G qui facilite le développement de l’Internet des Objets (IoT) et des applications de réalité augmentée et virtuelle mais laquelle lancée récemment dans notre pays, ne semble pas capable de remplir ce rôle pour nombre de raisons, la biotechnologie et génomique, les robots autonomes et drones, les technologies quantiques ou encore les énergies renouvelables et le stockage d’énergie où nos performances à ce jour restent assez approximatives ?

Les programmes de formation des ingénieurs doivent être alignés sur des orientations stratégiques qui favorisent la recherche et l’innovation et définissent un positionnement futur du pays qui détermine les choix des cursus ou continuer dans la lancée de formations académiques solides qui permettent la maitrise des fondamentaux mais sans disciplines facilitant une intégration plus aisée de nos ingénieurs dans la dynamique technologique mondiale.

“Une réforme qui ne s’appuie pas sur la collaboration entre les universités, les entreprises et l’État reste une déclaration d’intention. La compétitivité se construit avec des actions concrètes et un engagement durable.”

 

Plus que de la théorie et de la littérature, nous ne pouvons pas réussir les filières de l’ingénierie en l’absence d’une orientation stratégique de l’État et pas sur 5 ans, mais sur au moins une dizaine d’années, l’ingénierie est au cœur des grandes révolutions contemporaines et il n’est pas sûr qu’un livre blanc pourrait changer les donnes si derrière ses grandes idées ou propositions, tout l’appareil de l’État ne se met pas en marche.

L’Institut tunisien des Études stratégique regorge d’études les unes plus pertinentes que les autres, les actions, les mesures ont-elles suivi ?

Friedrich Engels disait “Une once d’action vaut une bonne théorie”. Sans actions de l’État, sans vision et sans portée pratique et réaliste, devrions-nous être condamnés à théoriser sans réaliser ?

Amel Belhadj Ali

EN BREF

Réforme de la Formation des Ingénieurs en Tunisie

🔹 Un Livre Blanc publié par le ministère de l’Enseignement supérieur propose une réforme des cursus d’ingénierie.

Objectifs clés :
✔️ Adapter la formation aux besoins du marché
✔️ Renforcer les liens universités-industries
✔️ Intégrer l’innovation et le développement durable

🔹 Un débat ouvert : Certains experts critiquent l’absence de concertation avec les élites tunisiennes à l’étranger.

🔹 Chiffre clé : 50 ans d’existence du système actuel, nécessitant une modernisation.

“Former sans stratégie, c’est théoriser sans réaliser.”

Enjeux : Une mise en œuvre efficace et un véritable engagement de l’État.