C’est une histoire bizarre, même très bizarre. En voici les détails : le 25 mars 2025, le département du transport, a révélé par la voix de son ministre, Rachid Amri devant le parlement que la Banque Africaine de développement (BAD) a informé, il y a une dizaine de jours, le gouvernement tunisien qu’elle a décidé de se rétracter et de ne pas financer, comme prévu, le projet du métro de Sfax.
«Nous avions un engagement initial clair, avec un horizon précis pour le lancement du projet. Mais récemment, nous avons constaté un revirement dont nous ignorons encore les véritables raisons. La BAD a posé de nouvelles conditions”, a rappelé Rachid Amri.
Le ministre a ajouté cette précision fort importante concernant la réaction de la Tunisie: “face à cette situation, a-t-il dit, le gouvernement a décidé de ne pas abandonner le projet. Une réunion s’est tenue avec le ministère de l’Économie et de la Planification pour étudier des alternatives. Parmi les solutions envisagées, le ministre a évoqué la possibilité de reclasser le projet sous le décret 497 afin de lui conférer un statut stratégique et d’accéder à d’autres sources de financement”.
Pour mémoire, le décret 497-2024 du 24 octobre 2024, définit les modalités et procédures spécifiques aux fins de faciliter la réalisation des grands projets publics jugés stratégiques ou en retard et de leur donner la priorité en matière d’exécution.
Revirement de la BAD
Morale de l’histoire : avec ces révélations du ministre du transport et sa coordination avec le ministère de l’économie et de la planification, les observateurs de la chose tunisienne ont compris que le dossier du financement du métro de Sfax par la BAD relevait d’une histoire passée.
Seulement, vingt quatre heures après l’audition du ministre au parlement, c’est-à-dire, le 26 mars 2025, le ministère du transport annonce, au grand bonheur des sfaxiens, sur sa page officielle du réseau social facebook, que “la BAD maintient son engagement financier le projet du métro de Sfax, ajoutant même que “la première phase des travaux devrait débuter prochainement”.
Ce revirement de situation a suscité moult interrogations et spéculations dans le monde des affaires en Tunisie. Des analystes de différents bords ont essayé de décrypter les tenants et aboutissants de ce changement de position de la BAD.
Spéculations des opposants au pouvoir en place
Au plan politique, les détracteurs du pouvoir en place, voire les opposants politiques y ont perçu une pression-sanction de la BAD en lien avec la rupture des négociations avec le FMI pour les premiers et en lien avec le retrait de la Tunisie de la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples.
Au plan financier, pour les monétaristes, la décision de la BAD de se rétracter relèverait du bon sens au regard de la dégradation, ces dernières années, du rating souverain de la Tunisie et des difficultés rencontrées pour accéder au marché financier international.
Est-il besoin de rappeler que même avec la récente amélioration de cette notation par l’agence Moody’s en la faisant passer de “Caa2” (risque très élevé avec des perspectives négatives) à “Caa1” (risque élevé avec des perspectives stables), le risque Tunisie est toujours élevé et le scénario d’un défaut de paiement est toujours possible.
Conséquence : d’après ces monétaristes, la BAD est dans son droit de ne pas courir le risque d’accorder un crédit à un pays exposé à un défaut de paiement.
Relents géostratégiques
Pour nous, cette affaire du retrait de la BAD du financement du métro de Sfax avant de confirmer son maintien en 24 heures a des relents géostratégiques.
La BAD, qui est historiquement alignée sur les positions des institutions de Bretton wood’s et des bailleurs de fonds européens (BEI..), semble voire d’un mauvais œil le rapprochement spectaculaire de la Tunisie avec la Chine. Et pour cause, depuis une année ou deux, les investisseurs chinois sont de plus en plus nombreux à visiter la Tunisie pour y explorer des opportunités d’investissement.
D’ailleurs, comme par hasard, au cours de la période au cours de laquelle la BAD avait décidé, dans un premier temps, d’abandonner le financement du métro de Sfax, l’Agence de promotion des investissements extérieurs (FIPA) avait, amplement, communiqué sur la visite en Tunisie d’une délégation chinoise de la société Norinco, entreprise publique chinoise spécialisée entre autres dans les chemins de fer. Il n’est pas étonnant d’imaginer que les tunisiens, mis au courant par la BAD de son retrait du financement du métro de Sfax, auraient proposé aux chinois de se charger du projet.
Il faut dire que les investisseurs chinois ont le vent en poupe ces derniers temps . En une année, ils ont remporté trois gros marchés en Tunisie : le pont fixe de Bizerte que cofinance d’ailleurs la BAD, le rachat de la cimenterie de Djebel Oust pour plus de 130 millions de dollars et la Cité médicale de Kairouan, un mégaprojet d’1,2 milliard de dollars.
Il va de soi que ces décryptages relèvent de l’hypothétique. Il s’agit là de simples supputations et suppositions, et ce, en l’absence de communication et d’éclairages du gouvernement sur les véritables raisons qui ont amené la BAD à se retirer du financement du métro de Sfax, à en informer le gouvernement et à annoncer ensuite le maintien de son engagement antérieur.
C’est une histoire bizarre !!!
Abou SARRA