L’ancien ministre et conseiller économique, Mohsen Hassen, prévoit que la trajectoire future de l’inflation en Tunisie restera entourée de risques haussiers, avec des taux oscillant entre 5 et 6 %.
Il affirme toutefois que la Tunisie, qui a réussi à maîtriser cette problématique, a, plus que jamais, besoin de politiques monétaires et gouvernementales efficaces.
Les prévisions de Mohsen Hassen, figurent parmi les points clés évoqués lors d’un entretien accordé à l’Agence TAP, à la suite de la publication par l’Institut National de la Statistique (INS), des indicateurs de l’inflation pour le mois de mars 2025.
Ces chiffres font état d’une légère hausse du taux d’inflation par rapport à février 2025, passant de 5,7 % à 5,9 %.
L’entretien propose une évaluation de la situation actuelle et de ses perspectives à la lumière des politiques protectionnistes internationales et des droits de douane relevés par les États-Unis.
L’INS a annoncé, dimanche, une hausse légère de l’inflation, alimentée par une augmentation de la consommation durant le mois de Ramadan, coïncidant avec mars 2025.
Les prix du groupe des produits alimentaires ont grimpé de 7 % en février à 7,8 % en mars 2025, tandis que les prix des vêtements et chaussures ont bondi de 9,7 % à 11,7 %.
Question : Les dernières données de l’INS sur l’inflation viennent de paraître. Comment évaluez-vous cette légère hausse ?
Réponse : Les chiffres montrent que l’augmentation de l’inflation en mars 2025 intervient après plusieurs mois de baisse.
Cette évolution est principalement due à la hausse des prix des produits alimentaires, un facteur déterminant en période de Ramadan, qui coïncide avec des habitudes de consommation accrues en Tunisie.
Il faut aussi mentionner la contribution du secteur du textile et chaussures à cette hausse, en lien avec la fin de la période des soldes et une demande accrue à l’occasion de l’Aïd el-Fitr.
Ces éléments relèvent des causes immédiates. Mais, il existe aussi des causes plus profondes, notamment des défaillances structurelles persistantes.
Il est essentiel de rappeler que la baisse de l’inflation au cours des derniers mois est le fruit de la politique monétaire restrictive menée par la Banque centrale de Tunisie, ainsi que des efforts du gouvernement pour approvisionner les marchés.
Cependant, la récente remontée de l’inflation est principalement due à des problèmes structurels, comme la mauvaise gestion des systèmes agricoles, notamment en ce qui concerne le stockage et la constitution de stocks stratégiques.
Les produits alimentaires, notamment frais, jouent un rôle central dans la dynamique inflationniste.
Autre facteur : l’offre et la production n’arrivent pas à répondre à la demande croissante, en particulier dans certains secteurs comme celui de la viande rouge.
Le prix de l’agneau, par exemple, a augmenté d’environ 21,9 % à la fin mars 2025.
Je recommande donc de développer les filières concernées et de mettre en place des politiques sectorielles pour résoudre les défaillances.
Un autre aspect crucial concerne les circuits de distribution.
Il est impératif que le gouvernement agisse de manière urgente pour réformer et moderniser ces circuits, renforcer les marchés et améliorer le contrôle économique.
Sur le plan international, l’inflation mondiale a reculé récemment et les prix des matières premières ont baissé.
Mais l’inflation importée reste un facteur pesant sur l’économie tunisienne, d’où l’importance de maintenir une politique monétaire prudente et de surveiller le taux de change du dinar.
Question : Après cette analyse, quelles sont vos prévisions pour les mois à venir ?
Réponse : Je pense que la trajectoire de l’inflation en Tunisie reste exposée à des risques à la hausse, et constitue encore une menace, pour plusieurs raisons.
Certaines sont extérieures, liées aux bouleversements géostratégiques mondiaux et aux politiques protectionnistes adoptées par de nombreux pays en réponse à la hausse des droits de douane imposée par les États-Unis.
Cela pourrait provoquer une remontée de l’inflation mondiale et un ralentissement économique touchant des marchés partenaires de la Tunisie, comme l’Union européenne.
Cependant, deux facteurs internationaux pourraient bénéficier à la Tunisie :
La hausse du dinar par rapport au dollar, liée à la baisse de ce dernier face à l’euro, ce qui réduira le coût des importations libellées en dollars ;
La baisse du prix du pétrole sur le marché mondial, qui allègera la facture énergétique tunisienne, une composante importante du déficit commercial.
Cela pourrait permettre au gouvernement de réactiver le mécanisme d’ajustement des prix des carburants, réduisant ainsi la pression sur les coûts de production et l’inflation.
Ces retombées indirectes des politiques protectionnistes de l’administration Trump pourraient donc limiter l’impact de l’inflation sur l’économie tunisienne.
En ce qui concerne les facteurs internes, les risques inflationnistes sont bien réels, dus à la faiblesse des capacités de production de l’économie nationale et aux difficultés des finances publiques.
Il est donc essentiel de stabiliser l’offre et la demande, en relançant la production, en réformant les filières agricoles, en traitant les défaillances sectorielles et en améliorant le climat des affaires.
À mon avis, l’inflation devrait se situer entre 5 % et 6 % au cours des trois prochains mois.
Ce niveau n’exige pas une hausse du taux directeur de la Banque centrale, récemment abaissé à 7,5 %.
Néanmoins, une politique monétaire prudente reste nécessaire, accompagnée d’une action gouvernementale pour contenir l’inflation.
Question : En annonçant une hausse de l’inflation, l’INS ne risque-t-il pas d’alimenter les critiques sur la fiabilité de ses données ?
Réponse: L’INS et la Banque centrale sont parfois critiqués quant à leurs données, mais je tiens à souligner que ces deux institutions disposent de systèmes statistiques avancés, fondés sur des méthodologies reconnues au niveau international.
L’INS figure parmi les rares instituts en Afrique à réviser la composition du panier de consommation utilisé pour mesurer l’inflation tous les cinq ans, en se basant sur une enquête nationale sur la consommation.
Cela témoigne du niveau de développement et de transparence du système statistique tunisien.