La Cité de la Culture Chedly Klibi a abrité, samedi, une rencontre autour des rapports entre philosophie et poésie, deux disciplines longtemps marquées par une relation de rivalité, depuis Platon dans la Grèce antique en passant par les grands philosophes du XXème siècle jusqu’à aujourd’hui.

Des lectures de poésie, en arabe et en français, étaient au menu de la rencontre “Poésie plurielle” qui s’inscrit dans le cadre de la conférence périodique “Quelle pensée dans la pratique des arts” du Collège de Tunis pour la Philosophie, visant à explorer les dimensions intellectuelles des œuvres artistiques et créatives.

Une pléiade d’auteurs et de penseurs dont notamment Mohamed Mahjoub, Abdelaziz Kacem, Yadh Ben Achour, Hichem Ben Ammar et Abdelhamid Ladhari a participé à ce séminaire organisé en partenariat avec le Centre des arts, de la culture et des lettres, Ksar Said et le ministère des Affaires Culturelles.

Outre des lectures de poésie, une séance-débat autour de la poésie, la langue et la traduction était au programme de cette rencontre modérée par Fathi Triki, philosophe titulaire de la chaire UNESCO de philosophie pour le monde arabe.

Prenant la parole, Fathi Triki a mentionné que cette conférence périodique vise à établir le dialogue entre philosophes, théoriciens et praticiens dans une tentative d’explorer les formes de pensée inhérentes au processus créatif dans les arts, faisant savoir que la prochaine réunion sera avec des cinéastes pour discuter de la pensée dans les œuvres cinématographiques.

Autour du thème “poésie plurielle”, il est parti de l’idée que l’art qui véhicule des concepts est un processus sensoriel et esthétique qui se manifeste chez le philosophe à travers la pensée.

Parlant de “Poème entre philosophie et pensée”, le philosophe Mohamed Mahjoub a formulé une réflexion à portée méthodologique. Spécialiste reconnu du lien entre poésie et philosophie, et figure majeure de la pensée contemporaine dans le monde arabe, il a expliqué que la relation entre ces deux domaines dépend du sens que chaque école philosophique donne à la pensée elle-même.

Dans son analyse de la relation dialectique entre poésie et philosophie, il a affirmé l’existence d’une correspondance entre le texte poétique et la pensée philosophique, en appuyant son propos, sur les œuvres de nombreux poètes et penseurs, tant occidentaux qu’arabes, parmi lesquels le philosophe et médecin d’origine persane Avicenne (Ibn Sina, 980-1037), le grand poète Imru’ al-Qais, ou encore le célèbre poète arabe Abû al-Tayyib al-Mutanabbî (915-965).

Yadh Ben Achour a ouvert les séances de lecture poétique en lisant des extraits de son premier recueil bilingue, “Poèmes pour la Liberté”, publié en 2025 chez AC Editions. Ce recueil, qui rassemble des textes en français et en arabe, est illustré en couverture par un dessin du grand calligraphe Nja Mahdaoui. Juriste de formation et auteur de plusieurs ouvrages en français, Yadh Ben Achour revisite dans son opus son attachement profond à la poésie et à la langue arabe, qui l’habite depuis toujours. Avec ses dix-sept poèmes, “Poèmes pour la Liberté” est un véritable hymne aux langues, perçues comme des vecteurs de communion entre les peuples et les cultures.

De son côté, Yadh Ben Achour a également lu des poèmes inédits, parmi lesquels “Le trou dans la serrure” et “La mort de l’enfant”, un texte poignant écrit dans les années quatre-vingt, inspiré par la disparition du fils de l’un de ses amis, mort à l’âge de onze ans.

Le réalisateur et critique de cinéma Hichem Ben Ammar, qui n’avait pas lu de poésie en public depuis 1979, comme il l’a lui-même rappelé, voit dans la poésie un moyen de rébellion. Fils de banquier, né en 1958, il a grandi au plus près des coulisses du système bancaire. Cette familiarité précoce avec le monde de la finance imprègne ses textes poétiques, marqués par une réflexion intime sur sa relation à cet univers. Hichem Ben Ammar a également lu des poèmes qu’il a publiés dans “Mitra”, revue canadienne d’art et de littérature.

Abdelhamid Ladhari a, pour sa part, rendu hommage au poète disparu d’expression arabe Mohammed Ghozzi (1949-2024) en lisant quelques-uns de ses textes.

L’écrivain et poète Abdelaziz Kacem s’est quant à lui penché sur l’histoire de la Tunisie, évoquant notamment l’expérience de figures comme Abou al-Kacem Chebbi, premier poète tunisien publié en Egypte, à une époque où l’accès au champ littéraire et poétique francophone demeurait difficile pour les auteurs arabophones.

En lisant des poèmes tirés de son recueil publié en 1991 chez la Maison du Livre Arabe, il a présenté des poèmes mettant en scène d’importantes figures historiques et intellectuelles, telles que le poète et dramaturge espagnol Federico García Lorca (1898-1936).